Après avoir auditionné de nombreux experts, le jury mobilisé par le CNESCO et l’Institut Français de l’Education dans le cadre de la conférence de consensus sur la lecture a rendu ses recommandations. Elles reposent sur les données de la recherche et sont très précises.
Un peu moins de 50 recommandations, 47 très précisément, pour faire le tour de l’apprentissage de la lecture, d’un des sujets les plus épineux du moment. Pas le plus polémique (les études scientifiques aidant, les passions se sont apaisées). Mais le plus sensible dans la mesure où 20% des jeunes Français sortent du système scolaire avec une maîtrise insuffisante de la langue et où les écarts, année après année, ne cessent de se creuser entre les performances des meilleurs et celles des plus faibles.
Pour que le consensus scientifique parvienne jusqu’aux enseignants
La conférence de consensus organisée conjointement par le CNESCO et l’Institut Français de l’éducation (voici la synthèse des deux journées d’auditions) a donc rendu ses conclusions, élaborées par un jury de 18 acteurs du terrain (enseignants, formateurs, parents, inspecteurs…). Lors de la présentation de ces recommandations, en préambule, Jean-Emile Gombert, spécialiste en psychologie cognitive des apprentissages et président du jury, rappelle qu’il existe en matière d’apprentissage de la lecture un consensus scientifique très fort qui malheureusement n’irrigue pas suffisamment les pratiques pédagogiques et ne se répercute donc pas de façon efficace sur le terrain. Pour y remédier, les 47 propositions de la conférence de consensus sont désormais en ligne, accessibles à tous, a fortiori aux enseignants. Elles constituent le prolongement de la première conférence sur le sujet en 2003 et sont « congruentes » avec les nouveaux programmes qu’elles précisent sur certains aspects. Pas de révolution dans l’air mais une tendance générale à s’inscrire dans la vision d’éducation basée sur des preuves. A noter, l’introduction du terme de « littératie » qui désigne la capacité à utiliser l’information écrite dans la vie courante, vocable très usité chez les anglo-saxons et les Québecois mais absent chez nous.
Des préconisations précises sur la pédagogie du déchiffrage
Parmi ces recommandations (qui pour certaines ont valeur de préconisations), l’idée que l’apprentissage de la lecture commence dès la maternelle et se poursuit jusqu’à la fin de la scolarité. Dans le secondaire, tous les enseignants, quelle que soit leur discipline, ont un rôle à jouer. La recommandation n°8 pose d’ailleurs qu’ « un temps de formation conséquent sur comment les élèves apprennent à lire devrait être délivré en formation continue et à tous les étudiants en master dans le cadre de la formation initiale 1er et 2nd degré des ÉSPÉ ». Trois principes forts sont également mis en avant : l’enseignement explicite des mécanismes et stratégies de lecture, la recherche de l’automatisation avec un travail de répétition et l’importance du plaisir. Ce que résume ainsi le document rédigé par le jury: « Sans enseignement l’élève demeurera non lecteur. Sans pratique il n’installera pas les automatismes et demeurera au mieux un décrypteur de l’écrit, au pire il oubliera les procédures apprises et risquera alors de se trouver plus tard en situation d’illettrisme. Parce que c’est une condition de la répétition autonome de la lecture, susciter le plaisir de lire chez l’élève est nécessaire à la réussite de l’enseignement de la lecture. Il est d’ailleurs établi qu’il y a une corrélation significative entre les performances en lecture et le plaisir de lire.»
Autre idée forte, bien mise en avant par Roland Goigoux lors de son intervention à Lyon : adapter le support à la compétence travaillée et l’objectif poursuivi. Les textes utilisés pour l’entraînement au décodage doivent être simples, accessibles, aisément déchiffrables. Pour travailler la compréhension, on aura alors recours à des textes plus élaborés, lus à voix haute voix par l’enseignant.
Le jury est précis quant au travail effectué en CP sur les correspondances graphèmes/phonèmes. Ce travail doit commencer dès le début du CP et entre 12 à 15 correspondances doivent avoir été étudiées dans les deux premiers mois. Les exercices d’encodage, d’écriture donc, facilitent l’acquisition de la lecture. Il faut privilégier la dictée pour les élèves les plus faibles. La lecture à haute voix est elle aussi préconisée.
Enseigner explicitement la compréhension
Une partie des recommandations concerne l’enseignement de la compréhension, lequel doit être « structuré, systématique et explicite ». «Cet enseignement explicite constitue un élément fondamental de la lutte contre les inégalités et leur reproduction, l’enjeu étant particulièrement important pour les élèves issus de milieux socioculturels défavorisés. Il doit être pris en compte dans la formation initiale et continue des enseignants de tous les degrés et toutes les disciplines, et constituer un élément essentiel pour tous les partenaires concernés par la lecture : parents, associations, collectivités. » Le jury donne des exemples de cet enseignement explicite (recommandation 22).
Le travail sur le lexique est lui aussi essentiel. En maternelle, ce travail passe par la mémorisation des mots grâce à la répétition et l’utilisation dans des contextes différents. À partir de l’école élémentaire, la lecture est le principal vecteur du développement du vocabulaire. Le travail sur la morphologie et la syntaxe est capital, dès la maternelle. L’enseignement de la compréhension doit se faire dès le début du CP et non une fois que l’élève maîtrise le code et il ne doit pas se limiter à l’utilisation de questionnaires. Au-delà des ces conseils très pratiques, le jury estime aussi important d’apprendre aux élèves à identifier la typologie des textes étudiés et incite les enseignants à prendre en compte les pratiques de lecture non scolaires des adolescents. La classe de littérature « doit être un espace de partage et de co-construction ».
Le jury estime que « l’enseignant doit, par anticipation, isoler et identifier, dans la tâche à réaliser par les élèves, ce qui relève des compétences de décodage, des compétences lexicales et syntaxiques, des compétences narratives, des compétences inférentielles et des compétences stratégiques ». Et précise : « Un travail systématique sera conduit en formation initiale pour permettre aux futurs enseignants d’acquérir et de mettre en œuvre ce type de préparation afin de faire progresser tous leurs élèves ». Peut-être était-il temps.
Des recommandations sur les textes informatifs et le numérique
La conférence de consensus a également porté sur « la lecture pour apprendre ». Le jury a donc rappelé qu’un travail doit être effectué avec les élèves sur les textes informatifs pour leur permettre de les identifier, de les contextualiser et d’en comprendre la structure interne. Il faut enseigner aux élèves des stratégies de lecture : prendre des notes, souligner, mettre en lien, résumer, reformuler, critiquer, évaluer. Le jury incite les enseignants à travailler de façon collaborative entre eux et avec le professeur documentaliste.
Une partie des recommandations concerne par ailleurs la lecture à l’heure du numérique et s’apparente plutôt à des mises en garde. Attention à utiliser des logiciels validés, à ne pas sous estimer la surcharge cognitive qui peut aller de paire avec une lecture numérique multimodale et donc complexe. « Pour être pédagogiquement efficaces les ressources pédagogiques numériques doivent respecter un certain nombre de règles » pose le jury. « Il est important de ne pas se laisser séduire par les dernières possibilités techniques mais de bien choisir celles qui permettront les meilleurs apprentissages. Les enseignants sont donc invités à porter un regard critique sur les ressources à leur disposition avant de les choisir. »
La dernière partie des recommandations porte sur la prise en compte de la diversité des élèves. Elle insiste sur l’attention toute particulière à apporter aux élèves les plus faibles. « Pour les élèves moins avancés, l’enseignant veillera, quotidiennement, à leur consacrer des temps privilégiés d’exposition et de traitement de supports écrits, aussi fréquemment que possible. Il accompagnera prioritairement ces élèves. » Pour les élèves présentant des troubles des apprentissages (troubles dys par exemple), une adaptation des tâches demandées (et pas seulement une simplification) devra être mise en œuvre. Ces élèves encore plus que les autre sont besoin d’un enseignement explicite et répété du déchiffrage. Et pour eux, encore plus que pour les autres, les supports doivent être particulièrement adaptés à la compétence travaillée. Le jury donne des conseils précis : privilégier l’oral, ne pas dicter les cours autoriser la lecture avec un outil, ne pas faire lire à voix haute devant les autres élèves, réduire la longueur du travail écrit à la maison.
Lors de la présentation de ces conclusions à la presse, une large partie des questions a concerné le soutien aux familles, abordé dans les recommandations. L’environnement socio-culturel, la présence de livres sur les étagères familiales, le niveau de diplôme de la mère mais aussi la qualité des échanges verbaux au sein de la famille… les facteurs de réussite scolaire sont désormais parfaitement identifiés. Après ce fort bienvenu rappel pour les enseignants de l’état de l’art en matière d’apprentissage de la lecture, on attend maintenant les campagnes de santé publique destinées aux parents, avant le 20h, dans les maternités et les PMI, sur l’importance des interactions langagières dès la naissance.