Les puéricultrices n’ont pas forcement la culture de l’évaluation et de la publication. Elles ont donc été incitées à plusieurs reprises, lors de leurs 42èmes journées d’études nationales, à expérimenter et à publier dans des revues professionnelles. Les organisateurs ont tenu à leur soumettre quelques exemples d’études pilotes très instructives sur des sujets variés.

Les recherches en cours présentées aux puéricultrices portent respectivement sur les facteurs qui peuvent freiner ou favoriser l’allaitement en France, sur les effets de l’odeur du lait maternel sur les prématurés lors du prélèvement sanguin au talon, sur un programme préventif et participatif de soutien parental portant sur les pleurs du nourrisson et sur le virus Zika et ses conséquences chez le nouveau-né en Guyane.

Le sensibilité maternelle, notion prometteuse au cœur de l’allaitement

Marie Lacombe, professeure à l’Université canadienne UQAR, s’est intéressée au faible taux d’allaitement français et aux facteurs qui peuvent l’expliquer. Elle a suivi un échantillon de 243 mères en sortie de maternité. Aux trois mois de l’enfant 195 d’entre elles ont répondu au questionnaire. Parmi elles, 66,7% continuaient à allaiter. Un taux plutôt élevé puisque selon les chiffres de la cohorte Elfe présenté il y a quelques semaines, à un moins de vie, seuls 54% des bébés français sont allaités. Marie Lacombe précise que son échantillon est biaisé puisque 85% des mères sont titulaires d’un diplôme du supérieur. Il s’agit donc d’une population favorisée. Pour justifier l’arrêt de l’allaitement, les femmes ont invoqué la prise de médicament, l’administration de compléments lactés, des problèmes de tétée. Pour la chercheuse, la délivrance de compléments lactés, pratique courante en France, impacte négativement la poursuite de l’allaitement. Elle estime que la « cohabitation avec le bébé » (être dans une grande proximité physique) favorise cet allaitement.

Et elle insiste beaucoup sur la notion de «sensibilité maternelle », de plus en plus considérée comme centrale dans l’allaitement. Cette sensibilité maternelle se décompose en quatre phases : détection par la mère des signaux émis par l’enfant, traduction juste et appropriée, sélection de la réponse, application dans un délai raisonnable. Ce concept apparaît de plus en plus dans les recherches sur la parentalité et sur les interactions entre les pratiques parentales et le développement de l’enfant.

Atténuer la douleur des prématurés avec l’odeur du lait maternel

Gwenaëlle de Clifford Faugère, étudiante à la faculté des sciences infirmières de Montréal, présente ensuite une étude pilote sur les effets de l’odeur du lait maternel sur la réponse à la douleur des nouveaux-nés prématurés. Elle rappelle en préambule que la douleur non traitée a des conséquences à long terme, notamment une altération de la sensibilité et des répercussions sur le développement moteur et intellectuel. Quelques études ont été réalisées sur les effets positifs de l’utilisation de l’odeur de vanille sur des bébés à terme. Mais il existe peu de données dans la littérature sur l’utilisation du lait maternel. L’équipe du service de néonatalogie ou exerce cette professionnelle s’est intéressée au prélèvement sanguin au talon, procédure douloureuse considérée comme la plus fréquente. Onze mères et 13 nouveaux-nés ont été sélectionnés.

Les bébés ont été familiarisés avec l’odeur du lait de leur mère pendant les neuf heures précédant le prélèvement, avec des compresses imbibées d’abord placées à dix centimètres de leur visage, changées toutes les trois heures pour des raisons d’hygiène, puis rapprochées à 2 cm juste avant le prélèvement. Pour évaluer la douleur des bébés, des vidéos ont été utilisées ainsi que l’échelle PIPP-R (Premature infant pain profile Revised) qui prend en compte, entre autres, les expressions faciales de l’enfant, son rythme cardiaque et la saturation pulsée d’oxygène. Une diminution des scores de douleur a bien été notée à l’approche de la compresse imbibée. Cette étude pilote a permis de montrer que le protocole était facilement réalisable et totalement acceptable pour les mères qui ont manifesté un grand intérêt et sont toutes venues pour exprimer leur lait la veille de l’expérience. La jeune femme précise néanmoins que des essais cliniques doivent être réalisés afin de mieux contrôler les co-variables, notamment les stimuli extérieurs.

Pleurs du nourrisson : donner aux parents le pouvoir d’y faire face

Venue de Suisse, Delphine Coulon, chargée d’enseignement en santé de l’enfant et de la famille à la Haute Ecole de Santé de Genève, présente un programme préventif participatif censé renforcer l’empowerment des parents face aux pleurs du nourrisson et diminuer, en conséquence, la prévalence du syndrome du bébé secoué. Ces pleurs constituent un réel défi pour les parents qui y sont peu préparés. Et qui expriment leur désarroi, comme dans ces verbatim recueillis par la chercheuse : « ils sont imprévisibles, incompréhensibles », « je trouve cela intolérable », « je suis épuisée », « c’est angoissant », « je me sens nulle, est-ce normal ? » « Je suis découragée », « je ressens de la tristesse », « je me sens incompétent », « je ressens de la colère ». Les six semaines de vie du bébé constituent la période la plus critique. Il s’agit d’un problème de santé publique dans la mesure où les hospitalisations en raison d’un secouement sont fréquentes et qu’il existe une corrélation entre les pleurs excessifs et le syndrome du bébé secoué.
« Les parents reçoivent beaucoup d’informations qui ne correspondant pas toujours à leurs besoins. Ils sont peu sensibilisés autour des pleurs. » Parce qu’il existe aujourd’hui des données probantes concernant les programmes de soutien parental misant sur la valorisation des compétences des familles, Delphine Coulon a participé à la mise en place d’un tel programme, lequel a mobilisé 32 participants dont deux pères, et plusieurs professionnels (infirmiers, puéricultrice, médecin, sage-femme). L’objectif est d’augmenter le pouvoir d’agir des parents, leur sentiment d’auto-efficacité. Delphine Coulon parle d’une « résilience assistée ». Le dispositif a consisté en entretiens semi dirigés, focus groupes, questionnaires. Il nécessite de la part des professionnels de ne pas se positionner comme des experts et d’accepter la démarche participative. Il est également très axé sur les besoins des familles et met au centre le développement de l’enfant et ses compétences. Les professionnels participants ont trouvé le programme novateur, pertinent et adaptable.
Il faut maintenant évaluer ces pratiques auprès des familles. Delphine Coulon note qu’il existe un questionnement quant à la possibilité d’utiliser la notion d’empowerment avec des familles en situation de vulnérabilité. Elle conclut sur l’idée que les pleurs sont une bonne porte d’entrée pour aborder la question des violences puisqu’ils ne sont pas stigmatisants et concernent tout le monde.

Virus Zika, défi supplémentaire pour la Guyane

Alizée Stouvenel exerce en Guyane qui concentre nombre de problématiques (taux élevé de grossesses chez des femmes très jeunes, forte prévalence de la prématurité, syndrome d’alcoolisation foetale très présent) et manque d’infrastructures et de professionnels de santé. C’est dans ce contexte qu’a surgi la question du virus Zika. Ce « flavivirus » se transmet par les moustiques et lorsqu’une femmes enceinte est infectée, notamment au cours du premier trimestre de grossesse (période la plus à risque), le bébé est susceptible de développer des troubles neurologiques. La physiopathologie est encore incertaine mais on sait aujourd’hui que les enfants touchés in utero ont un risque élevé de naître avec un microcéphalie (laquelle peut apparaître plus tard). L’atteinte neurologique peut être présente même en l’absence d’une microcéphalie.

Un étude INSERM suit actuellement trois cohortes : des mères avec un Zika confirmé pendant la grossesse, des bébés présentant une anomalie congénitale mais sans infection confirmée et des enfants bien portants. Tous les enfants subissent à la naissance une batterie d’examens (prélèvements, évaluation auditive, examen ophtalmique, neurologique, urinaire, digestif, pulmonaire). Ils sont ensuite revus à 2 mois, 4 mois, 9 mois, 18 mois et 24 mois. Pour les enfants non inclus dans les cohortes, un suivi renforcé a été recommandé avec l’inclusion dans le carnet de santé d’une feuille A4 pliée en 4 reprenant tous les examens de l’enfant avec les orientations conseillées. Ce supplément agraphé dans le carnet des enfants insiste sur les examens relatifs au développement et aux acquisitions. Les médecins traitants ont été prévenus par lettre et par mail et tous les médecins de PMI ont été rencontrés.

Ces interventions de grande qualité ont suscité un vif intérêt. La salle était comble, trop même, puisque toutes les personnes désireuses d’assister à ces présentations n’ont pas pu le faire, faute de places. D’où notre souci de vous proposer, à chaque fois que nous le pouvons, des comptes-rendus exhaustifs ou de solides synthèses des événements auxquels nous nous rendons.