Le réseau de périnatalité de Franche-Comté vient d’organiser les 7èmes journées francophones NIDCAP. Deux jours pour faire le point sur ces soins de développement individualisés prodigués aux bébés prématurés et centrés sur les familles, qui révolutionnent depuis 15 ans de plus en plus de services de néonatalogie. Notre synthèse des échanges.
«(…) Alors dans Besançon, vieille ville espagnole,
Jeté comme la graine au gré de l’air qui vole,
Naquit d’un sang breton et lorrain à la fois
Un enfant sans couleur, sans regard et sans voix (…) »
Une lecture strictement clinique de cet extrait d’un très beau poème de Victor Hugo contant sa naissance pourrait donner à peu près ça : « Ah tiens, Hugo est né avec un APGAR proche de zéro ! ». Soit sans aucun signe de vie. C’est en tous cas ce que l’écrivain laisse entendre à travers les rimes de « Ce siècle avait deux ans ». Les équipes de néonatalogie présentes à Besançon (ville de naissance de Hugo, donc) pour les 7èmes journées francophones NIDCAP, découvrant le poème sur un set de table sous leurs assiettes et l’analysant au prisme de leur expertise, y ont vu un joli clin d’oeil. Un bébé avec un APGAR faible devenu l’une des très grandes figures du patrimoine français, c’est assez réjouissant.
Deux journées ont donc été organisées par le Réseau de Périnatalité de Franche-Comté, à Besançon, en ce tout début juin pour échanger sur le NIDCAP (Neonatal Individualized Developemental Care and Assessment Program ), cet ensemble de soins individualisés adaptés aux réactions comportementales du bébé prématuré et destinés, entre autres, à réduire son stress et favoriser un développement harmonieux. Parmi ces attentions toutes particulières, on peut citer par exemple la réduction des stimuli nocifs (lumière et bruits), la diminution des manipulations et le regroupement des soins, le soutien postural, la stimulation sensorielle non douloureuse.
Pour le Professeur Jacques Sizun, chef du service de néonatalogie du CHU de Brest, pionnier dans l’implantation du NIDCAP en France, il s’agit d’un « ensemble de stratégies de soins de développement, qui doivent être précoces, intégrées (chaque soin est une stimulation et doit être transformé dans sa nature), individualisées et centrées sur la famille ». Venue des Etats-Unis, cette approche a essaimé dans le nord de l’Europe. Il existe aujourd’hui 12 centres de formation en Europe, contre 10 aux USA, avec cinq formatrices francophones.
Ce que signifie la prématurité pour l’enfant et pour ses parents
La première partie du congrès a permis de faire le point sur de grandes notions : la prévention, le psychisme des mères de prématurés, la douloureuse spécificité de ces situations et l’importance d’écouter les parents. Le docteur Emeline Maisonneuve, gynécologue-obstétricien à l’hôpital Saint-Antoine, propose un passage en revue des stratégies efficaces permettant de réduire le risque de prématurité spontanée (lire l’intégralité de sa présentation dans cet autre article). C’est décevant mais seuls le sevrage tabagique et quelques préconisations alimentaires présentent un fort niveau de preuve en matière de prévention.
Quand on n’a pas pu empêcher cette naissance trop précoce, alors il faut composer avec l’arrivée d’un bébé immature et fragile. Quels sont les dégâts entraînés par la prématurité ? C’est à cette question qu’a répondu le professeur Petra S.Hüppi, pédiatre des hôpitaux universitaires de Genève. Avec l’IRM on voit bien les conséquences de la prématurité : les bébés ont une tête plus petite, ils ont moins de cortex, moins de cervelet, la complexité des gyri est altérée (un gyrus est une circonvolution cérébrale, un repli sinueux du cerveau), les réseaux ne sont pas établis de la même manière. Les connectivités fonctionnelles de base sont différentes. Cette altération a des répercussions sur la capacité de régulation émotionnelle du bébé, de réponse comportementale appropriée, de conscience de soi (importante pour le fonctionnement social). L’amygdale est plus petit. Ces bébés ont plus de difficulté à réguler l’émotion et l’anxiété, à reconnaître des émotions sur un visage. « Est-ce transitoire ? Est-ce que ça persiste ? » interroge Petra S.Hüppi. Les examens structurels montrent des réseaux du lobe frontal et des structures limbiques plus faibles. Ce qui fait écho aux évaluations neuropsychologiques puisque ces réseaux sont responsables des problèmes dans les compétences sociales et les fonctions exécutives. Voilà qui peut expliquer un risque plus élevé (10 fois plus fréquent) de TDAH, et les problèmes de ces bébés face à la régulation émotionnelle.
Lors d’une naissance prématurée, il faut aussi composer avec la sidération, la douleur ou l’angoisse des familles. La pédopsychiatre Sylvie Nezelof, du CHRU de Besançon, insiste : ce ressenti parental peur avoir un impact très fort sur le développement du bébé (un résumé plus complet de son intervention dans un autre article). « Il faut dépasser le modèle lésionnel et l’élargir à un modèle psycho-pathologique. Les troubles du bébé peuvent être en lien partiellement avec les troubles de la mère eux-mêmes liés à l’impact de la prématurité. » Le médecin évoque une temporalité bouleversée, un haut niveau d’angoisse, le sentiment d’incomplétude de la mère, l’arrivée d’un enfant peu gratifiant et tous les deuils, plus ou moins symboliques, que les parents doivent faire. Avec un bébé prématuré, les jeux d’accordage, d’ajustement, qui constituent le fondement de la vie psychique, sont mis à mal. Le docteur Nezelof cite une étude effectuée par le CHU de Reims qui a suivi sur 12 mois plus de 100 dyades mères-bébés prématurés de moins de 32 SA. Une visite avait lieu 15 jours après la naissance, à la sortie de la néonatalogie, puis à 6 mois et 12 mois. Des outils ont été utilisés pour évaluer l’anxiété, la dépression, le stress post traumatique, le soutien social, les interactions, l’état somatique du bébé.
Le taux de dépression maternelle était de 35% à la première visite et de 30% à la deuxième. Le taux d’anxiété respectivement de 75% et 50% (et cette anxiété était davantage corrélée à la durée d’hospitalisation, qu’au terme ou au poids de naissance). La prévalence du stress post traumatique (pensées imposées, hypervigilance, évitement, réactivation) a été évaluée à 35%. Ce stress était corrélé à 6 mois avec la césarienne, avec le poids de naissance mais pas avec le terme du bébé. Ce stress était aussi corrélé avec le PRI (score pour évaluer la gravité de la prématurité) même en cas d’amélioration. Les interactions mère-bébé à 12 mois étaient corrélées avec les symptômes dépressifs à 6 mois mais pas avec l’état initial du bébé.
NIDCAP, échelle de Brazelton et théorie de l’attachement : tous les chemins mènent aux parents
En conclusion de son propos, Sylvie Nezelof appelle à être vigilant aux troubles psychiques des mères, à soutenir les interactions en ayant recours à l’échelle de Brazelton (juste après elle, Béatrice Grimon, pédiatre du CAMSP du Doubs, rappellera l’objectif de cette échelle : renforcer les liens précoces en montrant les compétences du bébé) et à faire attention à ce que la prématurité ne soit pas le modèle explicatif de tous les troubles de l’enfant.
Plus tard Lauriane Vulliez-Coady proposera de son côté un développement sur l’attachement (lire un résumé plus complet de son intervention dans notre deuxième article). Elle précise qu’il existe très peu d’études sur l’attachement et la prématurité. Pour des bébés à moins de 32 semaines, de petit poids, la prématurité reste le facteur de risque le plus important. La désorganisation apparaît comme un déficit neuro développemental, quelle que soit la sensibilité parentale. Pour des bébés de plus grand poids, nés plus tard, le modèle est davantage multifactoriel, avec un rôle plus important de l’état des parents, de leur stress et des représentations des mères déformées.
Les parents sont en tous cas au cœur de l’approche des soins de développement. «Le NIDCAP est orienté sur les systèmes, pose Jacques Sizun. On part du bébé, on englobe ses parents puis autour vient se greffer un service. Le bébé dirige et nous nous adaptons. Les Parents, eux, sont les co-régulateurs naturels. » Il précisera aussi : « Pour savoir comment le cerveau du bébé fonctionne, il faut regarder ce bébé. Ce fonctionnement est observable en toute circonstance et ne peut se pratiquer sans une collaboration étroite avec la famille. » D’où l’importance, par exemple, de laisser les parents accéder au service 24h/24.
Ni trop, ni trop peu, de l’art de bien communiquer avec les familles
Avant d’en arriver à cette alliance avec les familles, il aura fallu passer par des périodes moins « parents friendly ». Dans les années 70-80, les parents étaient admis comme simples visiteurs. Pour le professeur Gérard Thiriez, pédiatre au CHRU de Besançon, il faut maintenant tendre vers une communication plus efficiente (un résumé plus complet de sa présentation ici). « Aujourd’hui, en matière de communication avec les familles, il est nécessaire de passer de la fanfare d’amateurs à un orchestre de professionnels. Ce n’est pas si évident. Il y a encore des praticiens qui rechignent : « moi la communication, ça ne m’intéresse pas, les parents veulent qu’on soigne leur enfant, tout ça c’est du pipeau ». Or on connaît aujourd’hui l’impact à très long terme du stress de la période néonatale. Et l’on sait qu’une bonne communication diminue le stress. Elle favorise l’attachement. Quand c’est possible, l’anticipation est utile pour préparer les parents. »
Le médecin souligne à quel point cette communication avec les parents nécessite un subtil équilibre. Ne pas tenir les parents à l’écart mais ne pas non plus les solliciter sur des sujets où ils ne peuvent pas avoir d’avis, ne pas imposer les informations médicales, ne pas voler aux parents l’occasion de participer, ne pas être trop intrusif mais savoir proposer si les parents sont dans un état de sidération. Le Professeur Thiriez note qu’il existe beaucoup d’articles sur l’empathie et sur ses réels bénéfices en néonatalogie. Les professionnels doivent aussi accepter de montrer leurs émotions. Les parents sont rassurés de savoir qu’ils ont affaire à des êtres humains avec leurs émotions. Sur le même sujet, Pascale Wanquet-Thibault, pose que « le parent est partie prenante mais qu’il est dans un temps psychique qui lui est propre, qui n’est pas le nôtre ». « La capacité d’adaptation du soignant est un enjeu majeur pour l’avenir. » Nous signalons ici que Delphine Mitanchez, chef du service de néonatalogie de l’hôpital Trousseau à Paris, avait elle aussi livré une émouvante présentation de sa conception de ce que doit être une communication respectueuse et empathique. C’était en novembre dernier, lors du Congrès de l’ARIP.
Accompagner les parents pour soutenir le développement des enfants
Soutenir les parents dans l’intérêt des enfants est encore plus vrai en néonatalogie. Mais ce soutien ne peut s’arrêter à la sortie du service. Pourquoi? Parce que 30% des enfants prématurés, comme le précise Jean-Michel Roue, pédiatre au CHU de Brest, présenteront des troubles neurologiques modérés à sévères et que passé l’âge de 5 ans, les facteurs de risque qui persistent sont environnementaux: c’est le niveau d’étude des parents qui impacte le développement des enfants. Les relations parents-enfants influencent la plasticité cérébrale, surtout lors de a première année. “La production synaptique est génétiquement déterminée mais fortement influencée par les stimuli environnementaux.” Jean-Michel Roue interroge: “Faut-il des interventions systématiques sur facteurs de risque ? Existe t-il des programmes formalisés d’intervention précoce post-hospitaliers ?” D’après la revue de littérature effectuée par le médecin, voilà ce qui semble marcher le mieux : les programmes qui intègrent l’observation du comportement du bébé, tout en essayant de soutenir les parents dans l’apprentissage d’une parentalité adaptée, et favorisent l’auto-régulation. Le programme le plus probant serait le IBAIP (Infant Behavioral Assessment Intervention Program). Il va faire l’objet d’un essai multicentrique randomisé en France piloté par Brest. De septembre 2017 à septembre 2018 les professionnels des centres concernés seront formés et les inclusions auront lieu de septembre 2018 à septembre 2019.
Pas d’opposition entre soins de développement et soins conventionnels
Les soins de développement sont-ils antinomiques avec des soins médicaux très intensifs ? C’est l’une des questions essentielles abordées à Besançon. L’exemple suédois, développé par le Professeur Pierre Kuhn, pédiatre au CHU de Strasbourg, semble montrer que non (lire l’ensemble de sa présentation). La prise en charge est standardisée, invasive, technique, active. Et la Suède ranime des bébés de 23 SA (sans que leur taux de séquelles neurologiques soit pour autant plus important). En 2016, une conférence de consensus suédoise a conclu que les soins de développement n’empêchent pas la haute technicité, qu’il est même pertinent de les conjuguer. En France la césure semble plus nette. D’après l’intervention d’Antoine Burguet, pédiatre, membre du réseau de périnatalité de Franche-Comté, parmi 52 centres recensés par l’étude Epipage, « d’un côté on voit beaucoup de soins conventionnels, moins de soins de développement, et de l’autre c’est l’inverse. »
Des preuves solides en amont, un processus de certification intense en aval
L’intérêt de ces journées a également été de rappeler que les soins de développement reposent sur des preuves solides qu’il faut les adopter. « Les bénéfices sont mesurables, de nombreux arguments sont avancés par des méta analyses : les soins de développement entraînent un meilleur développement de l’enfant à 12 mois et diminuent la durée de séjour, assure Jacques Sizun. Les études épidémiologiques montrent que parmi les facteurs qui favorisent le peau à peau précoce on trouve la formation NIDCAP et la formation courte de soins de développement. La formation des professionnels a un impact direct. » Petra S.Hüppi confirme. En 2004, une étude a comparé les bébés dans un programme NIDCAP et les bébés en standard et a mesuré la connectivité structurelle dans le lobe frontal. Cette connectivité était plus présente dans le groupe NIDCAP. Il y avait une meilleure capacité de l’enfant à prêter attention. A 9 mois, le groupe expérimental était significativement meilleur que dans le groupe contrôle. Les bébés qui baignent dans un environnement avec des adultes ont un meilleur développement que ceux qui sont dans un environnement mécanique. On voit aussi que le stress et les soins de développement ont des effets opposés. Le stress altère la connectivité fonctionnelle, les soins de développement l’améliorent. Le professeur Sizun n’aura donc de cesse au cours de ces deux journées de pousser les intervenants à publier les résultats de leurs pratiques.
Les équipes qui peuvent être tentées par un certification NIDCAP doivent le savoir : il s’agit d’un processus long et contraignant. Catherine Zaoui, pédiatre au CH de Valenciennes, l’a bien rappelé, non sans humour. Elle a évoqué la constitution du dossier avec le rassemblement des preuves (à traduire intégralement), harassant. Elle a aussi raconté comment il faut organiser la venue des experts américains certificateurs dans les moins détails (avion, taxi, hôtel, traducteur). Elle l’assure néanmoins : « c’est une démarche très lourde mais très dynamisante ». Dynamisante, à l’image de ces deux journées axées sur le bien-être du tout-petit, sur l’écoute des familles, et sur les démarches validées par les preuves scientifiques.
Les interventions quasi complètes de l’ensemble des conférenciers sont à découvrir dans un article complémentaire.