Après une première partie dédiée à l’analyse de l’impact de la loi de 2007 sur la capacité, ou plutôt l’incapacité, des travailleurs sociaux à voir la maltraitance, nous poursuivons la synthèse de nos échanges avec la sociologue Nadège Séverac, autour du rapport* sur les maltraitances qu’elle a co-rédigé et publié en décembre 2015. Ce travail remarquable, fouillé, percutant, nous a semblé mériter d’être de nouveau mis en avant. Dans cette deuxième partie de nos échanges, la spécialiste interroge les postures des professionnels en protection de l’enfance, leur rapport à la norme, leur difficulté à rechercher l’alliance sans se contenter d’être des miroirs des dysfonctionnements familiaux. Une troisième partie permettra de revenir sur des thématiques précises et récurrentes en protection de l’enfance: la question du handicap, les liens entre précarité socio-économique et maltraitances ainsi que l’omniprésence des violences conjugales.
Comment concilier le focus sur l’intérêt de l’enfant et l’alliance avec les familles ?
N.S. Avoir l’enfant pour priorité n’empêche pas à mon sens de faire alliance avec la famille, tant que faire alliance n’est pas entendu comme “faire miroir”, ce qui consiste à ne pas s’autoriser de faire autre chose que refléter la famille. L’alliance, c’est ce qui résulte d’un type d’engagement, ça n’a rien à voir avec un contenu. Il y a des manières de dire aux gens qu’ils font des choses inacceptables. C’est une question de conviction: on peut fixer des limites strictes, tout en disant aux gens qu’on est là avec eux justement parce qu’on croit qu’ils peuvent changer et qu’on va y travailler ensemble – en tout cas c’est mon expérience d’intervenante auprès d’auteurs de violence conjugale, avec qui je travaille sur leur sensibilité parentale. Je ne vois pas comment on peut vouloir emmener les gens vers du changement sans leur dire que leur comportement est interdit parce qu’il nuit à l’intégrité d’un autre humain. Donc faire alliance avec le maltraitant, oui parce que c’est la condition pour qu’il change, pour autant qu’on ne perde à aucun moment de vue que notre aune, c’est l’enfant et son mieux-être. Pour autant, également, que l’alliance repose bien sur un fondement de “bienveillance implacable”. C’est un concept qui a cours dans l’univers du management et que je trouve intéressant parce qu’il repositionne la bienveillance comme une véritable posture assortie d’exigences pour celui qui la tient et pour celui auquel elle s’applique. Ca consiste à “faire passer”, par la parole mais pas seulement, qu’on croit que la famille peut faire mieux pour satisfaire les besoins fondamentaux de l’enfant, que c’est ça qu’on se donne pour objectif et qu’on va donc se mobiliser ensemble pour ce mieux visé pour l’enfant. Ca passe par une analyse précise des forces et des faiblesses du système, qui suppose qu’on dit ce qui ne va pas et qu’on le dit vraiment, et sans culpabilité ou mauvaise conscience, mais qu’on identifie aussi ce qui va (ce qu’on appelle les “facteurs de protection” dans la litterature) parce que c’est de ça qu’on va partir pour travailler.
Dans leurs rapports d’évaluation, les travailleurs sociaux font-ils ce travail de mise en exergue de ces facteurs de protection au sein de la cellule familiale?
N.S. Non, ils ne mettent quasiment pas en valeur les ressources propres aux familles, alors que le guide ministériel de 2007 consacré à l’évaluation recommande pourtant explicitement de le faire. Ca peut sembler étonnant, surtout si on a à l’idée que les travailleurs sociaux sont supposés soutenir les parents. En fait, cela montre surtout qu’ils ne sont pas dans l’alliance, mais bien dans le reflet: comme les parents, ils ne disent pas ce qui est interdit (la maltraitance), mais ils ne savent pas non plus souligner les forces des systèmes familiaux, dont ils ne disent que les “difficultés”. C’est pour cela qu’on a parlé d’”évaluations sommatives” ou “en liste de courses”, parce que les conclusions consistent en une liste d’écarts à la norme, considérés comme “inquiétants”. Finalement, ne pas stigmatiser n’empêche pas une approche normalisante des familles, qui se retrouvent en quelque sorte “mises à plat”, résumées à leurs écarts, plutôt que “mises en relief”. Or, la maltraitance, ça dit un relief de la famille: Quelle que soit la violence ou la négligence dont un enfant est victime, cela dit toujours quelque chose de sa place et des jeux relationnels dans le système familial: alors que peuvent-ils en dire? Or dans les rapports, cette intelligibilité n’apparaît pas, ce qui aboutit d’ailleurs à des manières de rendre compte des situations et des conclusions assez standardisées, sans esquisser d’autre perspective que de “travailler sur la place et le rôle de chacun”, ce qui semble effectivement le moins que l’on puisse dire et projeter… De mon point de vue, on parviendra à des analyses plus réalistes des situations familiales quand les travailleurs sociaux se sentiront autorisés à dire ce qui va mal et très mal, ce qui les mettra davantage en capacité de pouvoir, par effet de contraste, voir ce qui va bien aussi. Faute de quoi, ils continueront à produire des descriptions lissées, où les enfants vont très mal, mais où on ne comprend pas vraiment pourquoi, tout le contraste ayant été “ aplati”.
Vous êtes très critique sur la loi de 2007 mais pour autant vous défendez la nécessité de l’alliance avec les familles.
N.S. Je crois vraiment au fait de s’engager ensemble, elle est là l’alliance: pour moi, il est illusoire de croire que les gens changent par la seule force de leur volonté, surtout dans ce type de problématique. Pour changer, il faut des contours et des supports – et oui, ça se traduit par des contraintes, qu’il convient d’assumer: ça veut dire imposer des limites, offrir de la reconnaissance, faire émerger des ressources, et plus fondamentalement être à plusieurs humains pour fabriquer ensemble une autre réalité. L’impossibilité de faire véritablement alliance peut alors apparaître comme un indicateur, tout comme le fait que cela ne produise par d’évolution ou pas suffisamment eu égard aux impératifs du côté de l’enfant.
Quand les Canadiens ont commencé à se fixer des délais de durée de travail avec les familles indexés sur le développement de l’enfant, les services ont réalisé qu’il était nécessaire d’intensifier les moyens investis au service des objectifs visés, ce qui n’est pas étonnant: faire évoluer un éco-système autour de l’enfant, ça demande une mobilisation intense, mais ça ne signifie pas que ça marchera forcément. On peut alors espérer que l’alliance pourra permettre de préparer le placement de l’enfant dans les meilleures conditions possibles, pour que ça ne soit pas vécu comme une rupture et qu’il puisse – idéalement – tirer profit de son nouveau monde. Bon après ça suppose aussi de respecter ce que l’enfant construit dans son placement, mais ça, ça nous emmène loin…
Le cadre de l’évaluation apparaît en tous cas comme LE moment pour que, suite à l’alerte donnée et ce qu’ils constatent, les travailleurs sociaux puissent informer les parents que le fait de soulever son enfant par les oreilles (qui se déchirent), ou par le cou au point de lui laisser des hématomes, ou la gifle laissant la moitié de la face tuméfiée (et je pourrais rallonger la liste puisque la violence physique représente un tiers des situations suivies d’une mesure de protection) est une violence qui peut être constituée en infraction pénale par le procureur de la république. Ca aurait une valeur informative, voire éducative, de rappeler la loi, d’expliciter les raisons de l’interdit, à savoir l’impact de ces violences sur la personne – ici un enfant, et d’approfondir avec les parents sur leur contexte, leurs sentiments, leurs stratégies éducatives… mais ce n’est pas ce qui est fait.
Pourquoi les travailleurs sociaux ne se livrent-ils pas à ce travail de décryptage, de cadrage et d’information des parents?
N.S. Je relie ça à ce que j’appelle la “position basse” des travailleurs sociaux, qui se fait sentir dans les rapports par une multitude de “signes”: ne pas s’autoriser à écrire autre chose que ce que la famille dit, à interroger vraiment les choses, à faire des observations, à demander à voir l’enfant, à prendre le temps de discuter avec lui; ne pas être autorisé à qualifier les actes de violence; renvoyer aux autres – le Juge notamment – la compétence de dire aux familles. C’est cette “non autorisation” que je désigne par “position basse”, ce manque de légitimité qui avait d’ailleurs été évoqué par l’ONED (rapport au parlement et au gouvernement 2014) et qui amène les travailleurs sociaux à une position de miroir qui reflète, plutôt qu’à se positionner en tiers. Le tiers c’est précisément celui qui amène un point de vue différent, une ouverture de la famille vers la société, les normes et les lois qui s’imposent à tous, plutôt que de laisser la famille dans le huis clos silencieux où elle se trouve très fréquemment. Il faut donc une capacité à dire, y compris ce qui peut fâcher, et pour ça, s’autoriser et être autorisé et c’est là que je reboucle sur la loi de 2007 et sur le fait que l’impératif de “déstigmatisation” est devenu le premier des mots d’ordre chez les travailleurs sociaux qui s’est en réalité traduit par une interdiction à dire.
Sur ce point précis, l’analyse que je fais est que l’interdiction faite par la loi de dire – au motif de déstigmatisation – est venu renforcer le système maltraitant qui est aussi de ne pas dire; on sait bien que là où il y a de la maltraitance, quel que soit le contexte, ce ne sont pas les actes dégradants qui sont interdits, c’est le fait d’en parler. Ce qu’on a vu, c’est que les travailleurs sociaux se retrouvent de fait en “position basse” face aux familles: ils font le dos rond, tout le monde se plie à ce qu’on a appelé “l’indicible familial”. La question que cela pose, c’est de savoir s’il est possible dans la durée, de voir, ou plutôt de sentir (parce qu’on est beaucoup dans les émotions) la réalité de la maltraitance, sans la dire.
Dans cette situation de mal-être où les émotions – de colère et de peur notamment – transpirent des rapports, avec un effet très confusionnant, ne pas avoir de repère clair sur la maltraitance, la possibilité de dire et donc de penser, rajoute à la confusion, au doute. Il est très étonnant de constater que malgré des pages et des pages de descriptions assez claires, les travailleurs sociaux semblent ne pas oser savoir que penser! Ce doute et cette confusion alimentent d’ailleurs toujours plus la “position basse”, réservée et très prudente consistant à se faire l’écho des parents. Et puis ce positionnement peut paraître d’autant plus tentant qu’il peut se parer de la bonne intention de soutenir et d’entendre les parents – orientation portée par 2007 – en relayant leur point de vue. Ce qui est donc mis en avant, ce n’est pas tant que Monsieur qui soulève son petit de garcon de 6 ans par le cou exerce une violence, ni les conséquences sur cet enfant, mais le fait que Monsieur a eu un parcours de vie difficile et qu’il est en souffrance, ce qui est par ailleurs vrai! Il ne s’agit pas nier que la violence de Monsieur puisse être le symptôme de sa souffrance, mais de souligner que ce qui nous importe d’abord, c’est que la violence est interdite et qu’elle doit cesser. C’est d’ailleurs à partir de cet interdit qu’il sera possible de revenir avec Monsieur sur sa souffrance. Or, tout se passe comme si dans ces rapports, et dans le social plus généralement, il fallait d’abord retourner à la souffrance pour que la violence cesse… mais ça c’est oublier ou banaliser les effets de la violence, c’est-à-dire la destruction, qui fixe la priorité: sécuriser les victimes – et les auteurs aussi d’ailleurs, par rapport à leur force de nuisance. Si la protection visée est celle de l’enfant, la temporalité, l’intensité et le sens des interventions doivent être indexées sur l’enfant, ses besoins et son évolution et ce d’autant plus, que lui, contrairement aux adultes, n’en dit le plus souvent rien, si ce n’est par son corps et ses troubles!
Pourquoi le souci de la “déstigmatisation” vous semble-t-il un faux problème?
N.S. Pour moi très curieux d’afficher ce type de préoccupation quasiment en devise d’une politique publique, comme en 2007. Stigmatiser, c’est réduire quelqu’un à son stigmate et ne pas le considérer comme un être à part entière, ayant droit d’avoir voix au chapitre. Ce qui m’étonne là-dedans, c’est que ceux qui affichent ce refus sont les mêmes que ceux qui mettent en oeuvre l’action, comme s’ils avaient en quelque sorte peur d’eux-mêmes…de leur propre jugement.
Et puis comme si en supprimant le mot, on supprimait le risque de stigmatisation, alors que l’enjeu se situe essentiellement au niveau de la posture! On peut stigmatiser des personnes sans rien leur dire, d’ailleurs les recherches montrent que les parents peuvent se sentir très déconsidérés, même sans mots, parce qu’on n’entend pas leur parole ou qu’on n’en tient pas compte. A l’inverse, on peut assumer de renvoyer aux gens certains constats, y compris durs, en conservant une considération pour leur personne, en étant là, en explicitant, en réexplicitant, en se montrant touché par leur réalité, souvent très dure, sans pour autant cautionner ce qu’ils font…
Je crois également que cette crainte de la stigmatisation est très associée à un manque de culture scientifique sur la maltraitance, qui fait qu’on en conserve une vision très manichéenne et très morale en France, où maltraitance est synonyme de mal “intentionné”, “méchant”, “mauvais”. Alors que depuis les années 2000, l’OMS définit la maltraitance (qui est la traduction française du child abuse & neglect anglophone) en référence non pas à une éventuelle intentionnalité, mais à l’effet sur l’enfant des pratiques inadéquates ou de l’absence de pratiques des parents. Quand un bébé de neuf mois reste des heures hurlant dans son lit, avec des repas aléatoires, que ce soit parce que sa mère est dépressive ou qu’elle a consommé des produits et que le père n’est là que ponctuellement, la question de leur intentionnalité nous importe peu. Par contre, nous savons qu’il faut agir et rapidement, parce que ce bébé est négligé donc maltraité, qu’on ne répond pas à ses besoins fondamentaux, qu’il vit une situation de stress intense et qu’il évolue dans un contexte où il ne va pas pouvoir développer ses compétences de base, avec une probabilité forte d’en supporter les répercussions handicapantes toute sa vie. Ne pas prendre la mesure de cette réalité, attendre ou intervenir trop peu intensivement, que ce soit au nom du lien mère-enfant ou du refus de stigmatiser, revient à n’aider ni l’enfant, ni la mère et à laisser se dégrader la situation, jusqu’à l’irréversible.
Votre rapport souligne aussi une tendance à la délégitimation de l’expertise, qui semble d’ailleurs traverser l’ensemble du champ social
N.S. Ce que cette recherche montre, c’est qu’il est essentiel que les travailleurs sociaux puissent véritablement endosser le rôle du tiers, pour dire ce qui fâche. Pas sur le mode culpabilisant de “vous faites faux” – mais sur le mode de “vous avez franchi un interdit, cela a des effets sur votre enfant et sur votre relation et nous sommes là pour réfléchir ensemble à comment faire autrement”. Dire ça, ce n’est pas adopter la “position haute”, de surplomb (la fameuse “tutélarisation” tant décriée, à raison d’ailleurs par les critiques du “contrôle social”) consistant à faire croire aux familles qu’on aurait des “solutions”. Tout le mouvement autour de la valorisation des compétences des familles procède de ce refus de la position d’expert où le travailleur social se positionne en “sachant”, encore faut-il savoir ce qu’on met derrière ça! Encore un refus qui me paraît aberrant: dans des situations aussi chargées d’enjeux vitaux, la moindre des choses serait de pouvoir compter sur le fait que les travailleurs sociaux soient des experts! Être expert, ça ne veut pas dire qu’on sait tout et surtout à la place des familles! Ca veut dire qu’on maîtrise suffisamment un domaine pour ne pas être sidéré mais avoir une compréhension de ce qui se passe et aussi une certaine aisance dans l’action! C’est justement ça qui permet d’être auprès des familles, de faire garde-fou, d’apporter du regard extérieur, de souligner leurs atouts, leurs forces, de supporter ensemble ce qui va pas et de projeter autre chose…
Vous écrivez qu’aux USA la maltraitance fait l’objet d’un débat scientifique plutôt que d’une controverse morale car il y a un grand nombre de chercheurs sur le sujet. Est-ce l’inverse en France ?
N.S. Oui, je dirais en Amérique du nord, parce que nos amis canadiens représentent un sacré poids! Et puis il y a les Britanniques, les Australiens… Disons qu’en France les enfants et les pratiques éducatives au sein de la famille restent des objets mineurs pour les sciences sociales, a fortiori la maltraitance. Nous n’avons pas de champ de recherche sur cette question, pas de culture, pas de débat. Quand je pense à la façon dont a été traité la question de l’abolition des châtiments corporels, renvoyée au statut de non-sujet au motif qu’il n’y avait pas matière à traumatisme, alors que ce n’est pas le problème! Je trouve ça extrêmement curieux, dans une société obnubilée par l’insécurité, l’incivilité et la violence, et notamment la violence des jeunes, que le fait d’ériger le fait de frapper un plus jeune puisse être considéré comme une méthode éducative… comment peut-on assumer un tel paradoxe? Surtout que depuis quelques années, on dispose de travaux, entre autres de neurosciences, qui montrent à quel point le cerveau se modèle sur l’expérience, c’est-à-dire sur ce que l’enfant voit faire au moins autant que sur ce qu’il s’entend dire… comment peut-il comprendre qu’on lui interdise de frapper, au nom d’une certaine éthique, mais que l’adulte qui fait deux à trois fois sa taille, ce soit autorisé? Donc non seulement on le socialise avec des modèles paradoxaux sur le mode “fais ce que je dis et pas ce que je fais”, mais en plus, on s’abstient de lui montrer des modèles effectifs de régulation des émotions et de gestion des conflit qui lui seraient nécessaires pour vivre autrement son expérience… et qui nous feraient du bien à nous aussi d’ailleurs!
Derrière cette “petite” question, c’est non seulement une question éducative, mais un sujet de société qui est en jeu. Constater qu’en France, contrairement à nombre de pays en Europe, non seulement nous n’avons pas de législation, mais qu’en plus, il ne peut même pas y avoir de débat, en dit long sur la considération pour des sujets tels que “enfance”, “jeunesse” et “violence”. J’ai d’ailleurs été effarée d’entendre ceux qui l’ont balayé ce sujet d’un revers de la main avec l’argument qu’”on s’occupe de la “vraie maltraitance””! La “vraie maltraitance”, elle s’enracine toujours dans un rapport de pouvoir et c’est précisément un rapport de pouvoir que de considérer que certains auraient le droit d’en frapper d’autres “pour leur bien”. Fût un temps, c’est ce qu’on disait au sujet des femmes, aujourd’hui, ça semble inadmissible. J’espère que d’ici pas longtemps, ça sera tout aussi inadmissible s’agissant d’enfants, avec lesquels est en plus en jeu la transmission du modèle de relations que nous aurons demain. S’il y a un socle sur lequel la lute contre la maltraitance devrait pouvoir prendre appui, c’est l’interdiction claire et définitive de frapper un enfant, pour quelle que raison que ce soit. Ca ne veut pas dire que nous les adultes, on ne faillira jamais à notre responsabilité d’éduquer, mais qu’on moins on pourra reconnaître qu’on s’est laissé dériver, au lieu d’affirmer notre bon droit à user de violence.
Vous pointez aussi que les anglo-saxons se prononcent en fonction de normes mais qu’en France cette notion est problématique. Pourquoi ?
N.S. Oui, parce que du fait que nous n’avons pas de travaux, nous pouvons continuer à fonctionner au gré des croyances ou des convictions personnelles de chacun – y compris les plus infondées. Du coup, on est aussi en situation de “normalisation”, par absence de connaissance et de culture sur ces sujets-là! Ce n’est pas seulement que les anglo-saxons investissent des sujets que nous n’investissons pas, c’est aussi qu’ils ont un type de recherche que nous n’effectuons que peu, où ils essaient notamment d’“évaluer” les pratiques des parents, et les effets de ces pratiques sur le développement de l’enfant. C’est un type de recherche qui peut passer chez nous pour du “scientisme”, sous-entendu, on serait là dans le règne du non mesurable. Or je pense que même s’il faut rester prudent, le nombre considérable de travaux convergents, les pistes qu’ils dessinent, les limites qu’ils reconnaissent, les discussions qu’ils lancent mérite qu’on en prenne acte véritablement. Et qu’il y a toujours plus de crédit à apporter à des tendances qui se dessinent à l’appui de travaux convergents, qu’à l’infinie dénonciation française sur la “normalisation” à l’oeuvre dans le travail social!
*Rapport du CREAI Rhône-Alpes et du CREAI Bretagne, co-rédigé par Nadège Séverac, Eliane Corbet et Rachel Le Duff, avec la participation d’Olivier Duchosal