Les enfants français qui bénéficient de modes d’accueil formels se développent mieux sur le plan socio émotionnel que les autres, et c’est encore plus vrai pour les enfants accueillis en crèche et les enfants les moins vulnérables.
En matière de modes d’accueil, la littérature est très contradictoire : les études montrent alternativement que la fréquentation d’un mode d’accueil avant la scolarisation a des effets positifs ou négatifs sur le développement des enfants, certaines insistent sur les bénéfices pour les enfants des familles défavorisées (d’où les plaidoyers qui se sont succédé ces dernières années pour un accueil plus massif des enfants en situation de pauvreté, comme les deux rapports de Terra Nova).
Il est toujours un peu difficile d’asseoir des politiques françaises sur les apports de la recherche car la plupart des travaux portent sur des situations très différentes de celles rencontrées dans l’hexagone. Aux Etats-Unis par exemple l’accès à un mode d’accueil est moins systématique, plus cher et la qualité de ces structures est très aléatoire. Surtout les études évoquent en général l’accueil des enfants de 3 à 5 ans, la scolarisation à 5 ans étant la règle dans le monde et la scolarisation à 3 ans une exception française.
Enfin une étude française sur l’impact des modes d’accueil à partir d’une cohorte
D’où le très grand intérêt présenté par cette étude publiée dans le Journal of Epidemiology and Community Health par des équipes françaises de l’Inserm* à partir des données de la cohorte EDEN, donc en contexte français. Ces chercheurs ont analysé les effets des modes d’accueil sur le développement des enfants de 3 à 8 ans. Dans la mesure où plus de 99% des enfants français sont scolarisés à 3 ans, il est possible d’isoler le rôle spécifique des modes d’accueil. Les 1428 enfants suivis ont été répartis en 3 groupes : les enfants gardés essentiellement en crèche, ceux accueillis chez une assistante maternelle et ceux gardés par la famille. L’idée étant de mettre en exergue les associations entre le mode d’accueil et le développement comportemental et émotionnel des enfants. Les chercheurs ont également analysé l’effet du temps passé dans un mode d’accueil formel (moins ou plus d’un an). Une autre recherche, effectuée à partir de la cohorte Elfe, montre un effet positif de la crèche pour le développement langagier. Les résultats (relayés dans un précédent article) sont encore provisoires et doivent être affinés.
Les familles suivies dans la cohorte Eden sont globalement plus éduquées et présentent moins de difficultés sociales que la population générale. Néanmoins la cohorte comporte une bonne hétérogénéité de profils. Le développement des enfants a été évalué à partir d’un questionnaire (le « Strenghts and Difficulties Questionnaire) soumis aux mères aux 3,5 ans et aux 8 ans des enfants. Ce questionnaire permet d’évaluer les compétences pro sociales, les symptômes comportementaux, les troubles des conduites, les symptômes d’hyperactivité et d’inattention et les problèmes de relations avec les pairs sur une échelle proposant trois niveaux : faible, intermédiaire et élevé.
Les enfants accueillis en crèche ou chez une assistante maternelle présentaient des profils très similaires tandis que les enfants gardés de façon informelle avaient des profils systématiquement moins favorables. La majorité des enfants avaient un niveau faible ou intermédiaire de symptômes et un bon niveau de compétences prosociales. 15,5% présentaient des troubles des conduites persistants, 16% des symptômes émotionnels, 6,8% des problèmes de relations avec les pairs et 13,1% avaient un faible niveau (persistant) de compétences prosociales.
Des effets positifs plus marqués pour la crèche
Cette étude montre que la fréquentation des modes d’accueil formels avant 3 ans prédit un faible niveau de symptômes émotionnels, de problèmes de relations avec les pairs et de bons niveaux de compétences pro sociales dans l’enfance, en particulier pour les enfants qui les fréquentent plus d’un an et en particulier pour les enfants accueillis en crèche. Les effets de la crèche sont en effet plus forts que celui des assistantes maternelles. Seuls les enfants ayant passé au moins une année en crèche avaient une probabilité réduite de présenter un haut niveau de troubles de l’attention ainsi qu’un faible niveau de compétences prosociales. Les enfants gardés par une assistante maternelle présentent plus de risque de troubles des conduites. Néanmoins l’étude montre aussi un effet positif chez les enfants gardés plus d’un an par une assistante maternelle concernant les symptômes émotionnels et le problèmes relationnels avec les pairs (effet moins marqué que la crèche mais bien présent). Pour les chercheurs, les opportunités de socialisation et de stimulation offertes en crèche peuvent servir à prévenir les difficultés émotionnelles des enfants et aider à développer leurs compétences psychosociales à long terme. Les assistantes maternelles sont certes formées, mais leur activité est moins régulée et la qualité de leur accueil est plus hétérogène. C’est ce qui peut expliquer pourquoi elles semblent moins profiter aux enfants. La qualité de l’accueil apparaît ici plus important que jamais.
Des effets moins forts sur les enfants des mères les moins éduquées
Des analyses plus fines montrent également que les filles, les enfants des milieux très éduqués et ceux dont la mère n’est pas dépressive, sont ceux qui tirent le plus de bénéfices des modes d’accueils formels, surtout sur le plan socio émotionnel. Concernant le bénéfice tout particulier constaté pour les filles, les auteurs notent que ce résultat est en phase avec la littérature qui montre un effet des modes d’accueil sur les problèmes internalisés, lesquels sont plus fréquents chez les filles. En revanche, cette étude montre un résultat qui diffère des données connues : les auteurs n’ont pas relevé de bénéfice spécifique pour les enfants de familles à haut risque. Au contraire, ce sont les enfants à bas risque qui semblent présenter les plus faibles niveaux de difficultés psychologiques lorsqu’ils fréquentent les crèches. Lorsqu’on compare les enfants accueillis en modes d’accueil formels et informels, parmi les enfants gardés en crèche et chez une assistante maternelle seuls ceux dont la une mère est diplômée étaient moins susceptibles d’avoir des troubles émotionnels élevés et des problèmes de socialisation avec les pairs. Le niveau d’éducation maternel est donc un facteur qui vient modifier la corrélation entre le mode d’accueil et le développement socio émotionnel de l’enfant. La crèche ou l’assistante maternelle ont un effet positif, si la mère a un bon niveau d’instruction. Hypothèse des chercheurs : le programme universel proposé à tous les enfants ne suffit peut-être pas à compenser les handicaps inhérents aux familles en difficulté socio-économiques ou avec des troubles mentaux.
L’accueil en crèche peut-il suffire à compenser les inégalités ?
Là encore c’est une donnée cruciale au moment où le débat sur l’accueil des enfants défavorisés bat son plein. C’est un leitmotiv depuis plusieurs années, porté par différents acteurs (dont Terra Nova) et qui a été pris en compte dans la dernière COG de la CNAF et dans la Stratégie Pauvreté: il faudrait absolument modifier les critères d’attribution des places en crèches pour accueillir davantage d’enfants de milieu défavorisés. Seulement, accueillir en crèche un enfant en situation de vulnérabilité peut-il suffire à compenser l’inégalité dont il souffre ? Peut-être pas. Deux options : soit il faut envisager de revoir encore à la hausse la qualité de l’accueil proposé pour qu’il soit vraiment profitable à tous les enfants accueillis. Soit il faut envisager un universalisme plus proportionné : un accueil de qualité plus étendu à tous les enfants avec, au sein de cet accueil, des temps et des activités spécifiques, supplémentaires, pour ces enfants. Le dispositif Parler Bambin, qui vise à stimuler en crèche le développement langagier des enfants les plus fragiles s’inspire de ces deux modèles. Il vise à accroître le niveau de compétence des personnels (ce qui profite à tous les enfants accueillis) et propose, en plus, des ateliers individuels pour les « petits parleurs ». Ce dispositif, aux résultats contrastés et encore provisoires, suscite à la fois un vif intérêt et des réserves persistantes.
Confirmation au passage de la persistance des troubles dans le temps
A noter enfin, les auteurs mettent en avant le fait que leurs travaux pointent trois trajectoires développementales chez les enfants : des troubles élevés et persistants, des troubles modérés, un faible niveau de symptômes. Ils confirment ainsi de très nombreux travaux précédents montrant la persistance dans le temps des symptômes qui apparaissent de façon précoce (les enfants qui présentent des symptômes à 3 ans, sont toujours les mêmes 5 ans plus tard). C’est important de le souligner car ce simple constat, scientifiquement démontré à plusieurs reprises (notamment avec la cohorte néo-zélandaise Dunedin) est celui qui a suscité en France la phénoménale levée de boucliers de 2005, à l’occasion de l’expertise collective de l’Inserm sur les troubles des conduites. C’est en partie en réaction au constat posé dans ce rapport d’une persistance des troubles au cours du temps (et à sa récupération par le ministre de l’Intérieur de l’époque, Nicolas Sarkozy), que le collectif Pas de zéro de conduite pour les moins de 3 ans avait été créé, générant plus de 200.000 signatures. Cette mobilisation aboutira au retrait de l’article sur le dépistage précoce du projet de loi sur la prévention de la délinquance. Certainement faut-il s’en féliciter. Mais le bébé aura dans le même temps été jeté avec l’eau du bain. Car la réalité de la persistance des troubles dans le temps et la question de la prévention précoce des troubles des conduites resteront pendant des années un sujet à haut risque.
*Ramchandar Gomajee, Fabienne El-Khoury, Sylvana Côté, Judith van der Waerden, Laura Pryor, Maria Melchior