La pétition de 130 médecins dans Le Monde plaidant pour un assouplissement de l’encadrement de la procréation médicalement assistée en France et dénonçant de graves incohérences, suscite quelques remous. Les associations de patients, elles, applaudissent cette prise de position des spécialistes.
Le sujet est miné et le gouvernement, échaudé par les manifestations qui ont accompagné le vote de la loi sur le mariage pour tous, n’a pas très envie de remettre de l’huile sur le feu. Il n’empêche que la philosophie et les pratiques françaises en matière de Procréation médicalement assistée PMA (devenue Aide médicale à la procréation) semblent de moins en moins cohérentes et donc de moins en moins applicables. Notamment par ceux qui sont en première ligne, les médecins. D’où le ras-le-bol exprimé par 130 médecins dans Le Monde, appelant à revoir et surtout assouplir notre approche de la prise en charge de l’infertilité. Ces spécialistes, au premier rang desquels René Frydman, le « père » du premier bébé éprouvette français, réclament notamment la possibilité d’accompagner toutes les femmes dans leur désir d’enfant, qu’elles soient en couple avec un homme, une autre femme, ou célibataires. Ils reconnaissent d’ailleurs publiquement déjà aider ces femmes, en toute illégalité. Hervé Mariton, député Les Républicains a annoncé son intention de saisir la justice.
Timide retour du débat sur l’homoparentalité
Ce collectif de médecins dénonce la schizophrénie de la position française. Notre législation est une des plus restrictives d’Europe, interdisant l’accès à la PMA aux femmes seules ou aux couples homosexuels, et posant comme fondements éthiques l’anonymat et la gratuité du don. Cet accès restreint et la contrainte de la gratuité ont pour conséquence le recours croissant de ces femmes seules ou en couple homosexuel mais aussi des couples hétérosexuels, aux services de cliniques étrangères, espagnoles, belges ou encore ukrainiennes. Un départ forcé vers l’étranger dénoncé notamment par les associations de défenses des droits des homosexuels, comme l’a fait ce dimanche 20 mars l’Inter-LGBT dans Marianne : « Contraindre ces femmes à recourir à la PMA à l’étranger entraîne des frais exorbitants liés aux déplacements, pouvant atteindre 30 000€ (en particulier en Espagne et en Belgique) ce qui porte un préjudice à la stabilité sociale des familles homoparentales et particulièrement à l’intérêt de l’enfant. Ainsi, les enfants conçus par PMA à l’étranger se retrouvent, du simple fait de leur naissance, dans une situation économique plus difficile. »
L’accès des couples homosexuels à la PMA continue d’être l’un des sujets les plus clivants qui soient. Ce qui est normal dans la mesure où il concerne des enfants, où il touche à la conception que chacun peut avoir de la famille, à la morale, à l’éthique, au religieux, à l’anthropologie, et apparaît comme difficilement objectivable. On peut néanmoins rappeler que les opposants à la PMA pour les femmes seules ou les couples homosexuels avancent généralement comme argument majeur la défense de l’intérêt de l’enfant. Or, sur ce seul sujet, il existe une littérature scientifique abondante, sérieuse et étayée, montrant que les enfants de ces familles vont bien, en tous cas pas plus mal que les autres (voir ce sujet notre article, “Nouvelles familles: 40 ans qu’on échoue à prouver leur nocivité” publié il y a un an). Mais en France, cette littérature, essentiellement anglo-saxonne, est soit méconnue soit balayée d’un revers de la main.
La pénurie d’ovocytes conduit à de graves incohérences
Les médecins signataires du manifeste paru dans le monde ne rentrent pas dans ces considérations. Ils estiment pour leur part qu’ils doivent accompagner toutes les patientes, qu’elles soient seules, hétéro ou homosexuelles. Surtout, ce qu’ils ne peuvent plus supporter c’est l’injonction paradoxale à laquelle ils sont soumis, y compris pour les couples hétérosexuels. Ces couples pour lesquels le don d’ovocytes peut apparaître comme la seule solution, souvent en raison de l’âge avancé de la femme, se heurtent à des délais d’attente trop long (en moyenne deux ans) à cause de la pénurie d’ovocytes. Contrairement à la plupart des pays étrangers, la France n’indemnise pas les donneuses d’ovocytes. Or, cette procédure n’est pas anodine. Elle nécessite une stimulation ovarienne qui n’est pas sans risque et une intervention chirurgicale pour la ponction ovocytaire. Sans incitation financière, il est difficile de recruter des donneuses. Jusqu’au mois de janvier 2016, ces donneuses devaient en plus être déjà mères, ce qui diminuait encore davantage la population susceptible d’être concernée par le don. Trois mille couples seraient donc en attente.
Les médecins savent pertinemment qu’une femme qui a 42 ans et qui peut être prise en charge par la CPAM jusqu’à 43 ans ne pourra pas bénéficier d’un don dans les temps impartis. Cette patiente peut en revanche effectuer une FIV avec don à l’étranger où elle n’aura pas à attendre (en raison de donneuses indemnisées et beaucoup plus nombreuses). Si elle répond aux critères de la CPAM (en couple hétérosexuel, moins de 43 ans, moins de quatre tentatives de FIV), la procédure peut même en partie être prise en charge financièrement. Problème : une clinique qui indemnise ses donneuses est en contradiction avec la loi française. Le médecin qui informe une patiente de l’existence d’une telle clinique est passible de 75.000 euros d’amende et de cinq ans de prison. C’est cette incohérence que dénoncent notamment les spécialistes français.
Trop de FIV vouées à l’échec
Autre aberration du système déplorée par les médecins signataires : les embryons réimplantés lors d’une FIV ne sont pas analysés en amont sur le plan chromosomique. Or, 60% de ces embryons (80% quand la femme a plus de 40 ans) présentent un défaut chromosomique qui empêchera la nidification ou entraînera une fausse couche. « On réimplante à l’aveugle, déplore Virginie Rio, du collectif de patients BAMP! . Peut-être serait-il plus économique sur un plan humain, psychique mais aussi financier de davantage analyser ces embryons avant le transfert ». En Espagne, pour toutes les FIV, les embryons font l’objet d’un diagnostic préimplantatoire, ce qui évite les transferts inutiles et explique les taux de réussite bien plus élevés des cliniques espagnoles même sur des FIV sans don d’ovocyte. Virginie Rio estime également nécessaire une harmonisation des pratiques, trop hétérogènes d’un centre à l’autre, et une amélioration des investigations de départ afin de poser le bon diagnostic. « Nous aimerions que des examens plus poussés soient effectués dès l’entrée dans le parcours de PMA. Nous voyons des patients à qui on a proposé un caryotype à la troisième FIV. Ou des femmes qui ont eu droit à des inséminations sans que soit vérifié au préalable l’état de leurs trompes. Ca n’a pas de sens. »
Les médecins signataires n’en parlent pas mais on pourrait citer, non pas une autre incohérence, mais plutôt un autre arrangement avec la loi : le don relationnel croisé. Le fait d’inciter les couples à se présenter dans un centre de fertilité avec une donneuse pour gagner quelques places dans la liste d’attente. Les ovocytes de cette femme ne pourront pas être attribués au couple mais ils viendront grossir le stock disponible. Une pratique dénoncée par le BAMP!. «C’est une épreuve de plus imposée à beaucoup de couples qui ne peuvent ou ne veulent pas parler de ce qu’ils vivent. Et cela introduit des inégalités entre ceux qui viendraient avec une donneuse et les autres. C’est une solution que le système a trouvé pour pallier au manque de donneuses qui s’apparente à une dérive. » Une dérive interdite par la loi. Or, la pratique est courante, de nombreux centres, il est vrai confrontés à une grave pénurie, imposent cette condition aux couples demandeurs.
Informer le grand public sur l’infertilité
Les médecins signataires du manifeste du Monde réclament également un grand plan de lutte contre l’infertilité avec davantage de moyens donnés à la recherche et une meilleure information des patients sur la baisse de la fertilité avec l’âge. Du côté des patients, le collectif BAMP ! appuie cette initiative : « On aimerait que le rôle des gynécologues de ville ne s’arrête pas à la délivrance de la pilule. Ils doivent se mobiliser sur cette question de la fertilité, en parler à leurs jeunes patientes. Lorsque les gens ont accès à l’information ils peuvent faire des choix de vie éclairés. Nous aimerions qu’ils se déplacent dans les collèges et les lycées. » Le BAMP ! organise dans plusieurs villes de France, du 25 au 30 avril 2016, une semaine d’information sur l’infertilité. Le collectif veut aller encore plus loin dans l’appréhension du sujet: « Il faut davantage étudier les liens entre environnement et fertilité, faire de cette question un enjeu de santé publique. Il ne s’agit pas seulement de problèmes privés de couples qui ne parviennent ps avoir d’enfant. Il y a des ramifications dans d’autres domaines, il faut se poser la question de la qualité de vie pour nos enfants, de l’impact des perturbateurs endocriniens, la fertilité de l’espèce humaine est un sujet fondamental.»