Un heureux événement. Souvent. Mais la grossesse et la naissance d’un bébé constituent aussi la période la plus à risque pour la santé mentale des femmes. Près d’un quart d’entre elles disent éprouver une souffrance psychique. Certaines en meurent. Les enfants, eux, peuvent être impactés à vie par ces débuts difficiles. Pour que cette problématique devienne enfin un sujet majeur de santé publique, le collège de psypérinatalité (@psyperinatalite sur Twitter), l’association Maman Blues et de nombreux acteurs de la périnatalité ont initié, à l’occasion d’un colloque au Ministère de la Santé, le lancement d’une alliance francophone.
Le colloque qui s’est tenu au Ministère de la Santé et des Solidarités, sous le haut patronage de la Ministre Agnès Buzyn, ce mercredi 5 juin, a permis de jeter les bases d’une alliance francophone pour la santé mentale périnatale. Une très heureuse initiative que l’on doit à l’association Maman Blues et au Collège de psypérinatalité animé par le pédopsychiatre Michel Dugnat. L’objectif de cette première journée était de rappeler les enjeux d’une problématique longtemps sous-traitée alors que ses déflagrations sont aussi profondes que durables.
Côté administration, c’est Stéphanie Decoopman, directrice adjointe de la Direction Générale de l’Offre de Soins, qui ouvre la journée. « Les soins psychiques conjoints parents-bébé constituent un sujet très transversal. Pour cette période périnatale qu’on appelle plus volontiers les 1000 jours, et qui va influer de manière déterminante sur la santé physique et psychique de l’enfant jusqu’à l’âge adulte, on a des chiffres alarmants. Notamment 23% des femmes qui parlent de souffrance psychique pendant la grossesse ou juste après. Du côté des mères, le suicide est une des causes principales de mortalité pendant la première année de vie du bébé. Les vulnérabilités peuvent apparaître ou se renforcer. Le dernier plan périnatal a permis une amélioration dans la prise en charge mais les efforts pour la sécurité émotionnelle doivent se poursuivre. »
Elle annonce un « volet santé » dans le futur pacte de l’enfance prévu pour le deuxième semestre 2019, ainsi qu’une feuille de route pour la périnatalité pour 2020. Ce pacte est une approche hybride associant les visions pédiatriques, psychiatriques, psychiques et développementales. Il doit mettre en avant l’accompagnement des bébés et des enfants, le soutien à la parentalité, pour mieux prévenir les vulnérabilités. « Les enjeux sont considérables, affirme Stéphanie Decoopman. Il faut avancer ensemble. On attend des éléments de retour de votre part, des propositions qui tomberont à point nommé. »
L’impact à long terme du stress fœtal
Valérie Mezger, directrice de recherche au CNRS, présente un topo très didactique sur le stress fœtal et l’épigénétique.
Elle passe en revue les contributions génétiques et les composantes environnementales dans la santé de l’enfant et montre comment le stress prénatal peut endommager le cerveau, donc augmenter les risques de développer des maladies psychiques. Des mutations génétiques ou des expositions environnementales vont conduire à des défauts de développement du cerveau, avec l’apparition de troubles psychiques variés qui peuvent apparaître précocement dans l’enfance (déficit intellectuel, trouble d’hyperactivité (avec ou sans) déficit de l’attention, anxiété, troubles du spectre autistique,…) ou plus tardivement.
A noter : que les origines soient génétiques ou environnementales, ce sont les mêmes familles de gènes qui sont affectées (notamment les gènes qui jouent un rôle dans la multiplication des neurones et la formation des synapses).
Le cerveau du fœtus est soumis à des stress très divers : l’absorption de psychotropes ou de produits psychoactifs légaux (alcool, tabac) ou illégaux par la mère, les bactéries, l’état mental de la mère (dont son stress), la malnutrition, les infections, … On parle de « mémoire moléculaire » du stress qui crée des « marques épigénétiques aberrantes ». Ce sont des cicatrices épigénétiques qui persistent et se déposent sur les gènes. Elles constituent potentiellement des biomarqueurs. Ce qui signifie, dans l’avenir, la possibilité de diagnostics plus précoces car paracliniques.
Concernant l’épigénétique, dont les mécanismes moléculaires ont été récemment découverts, une précision importante : elle n’existe pas sans la génétique qui en constitue la première « couche ». L’ADN est un ensemble d’informations condensées contenues (en quantité faramineuse) dans le noyau de la cellule. A titre de comparaison, c’est comme si on cherchait à faire rentrer 15 km de spaghettis dans un ballon de basket. Connaître l’information contenue dans l’ADN ne suffit pas. L’enjeu, désormais, c’est l’accès aux modalités de régulation de l’expression de cette information. Les mécanismes épigénétiques jouent sur cette expression.
Valérie Mezger utilise une autre image : « l’ADN est comme Las Vegas, ça clignote de partout ». Quand un gène « s’exprime », cela signifie que son information peut être « lue » dans l’usine à fabriquer les protéines que constitue la cellule. Il n’est pas « méthylé ». Parfois, de petites enzymes déposent une marque de méthylation sur l’ADN. Cette marque est reconnue et lue par des marqueurs « lecteurs » qui rendent inaccessible et silencieux le gène.
Bonne nouvelle : la réversibilité des phénomènes épigénétiques
Quelles sont les incidences pour le développement du cerveau ? Si on dépose des marques épigénétiques anormales sur les gènes impliqués dans la morphogénèse, la neurogenèse (développement des cellules cérébrales, les neurones), la synaptogenèse (création de « ponts » reliant les neurones), la plasticité synaptique (capacité des synapses à se développer ou à disparaître en fonction de l’environnement), on compromet la bonne expression de ces gènes dans le cerveau en développement dès les premiers jours après la conception et jusqu’à l’âge adulte. Et même quand la période de stress est très courte ! Pour l’alcool par exemple, tous les stades sont vulnérables. Il y a un impact de l’exposition prénatale à l’alcool sur la méthylation de l’ADN. L’alcool in utero altère les mécanismes épigénétiques impliqués dans le développement neuronal. Il existe des « hot spots » communs de méthylation anormale (pour la plasticité et les fonctions neuronales) entre différentes sources d’exposition prénatale en général, et en particulier le stress maternel ou le stress dans l’enfance, qui vont créer des cicatrices épigénétiques semblables.
Bonne nouvelle : ces mécanismes épigénétiques sont réversibles. On peut modifier les marques épigénétiques avec des médicaments utilisés par exemple en cancérologie et en psychiatrie adulte. Pour le fœtus, en revanche, il est très délicat de recourir à ces traitements médicamenteux. Heureusement il existe une réversibilité via une action non médicamenteuse, grâce à un environnement intellectuel, social, affectif enrichi et adapté aux besoins de l’enfant.
Valérie Mezger plaide en conclusion pour une prévention des stress et, à défaut, pour un dépistage précoce.
« Le bébé est un étranger »
C’est ensuite une mère, Anne-Myrtille Rivoal, qui vient témoigner de sa « difficulté maternelle ».
Elle commence en faisant part de son immense fierté d’être la mère d’une petite fille de 5 ans, Cléo, et de pouvoir le dire.
« Quand j’ai eu 30 ans, sous la pression sociale et familiale, j’ai fait un bébé. Je n’étais pas prête du tout. Je l’ai senti tout de suite. Ma gynécologue m’a entendue quand je disais que je ne me sentais pas bien. J’ai vu un psy à Avignon qui a pu m’expliquer ce qui m’arrivait. La préparation à la naissance était compliquée car je me suis retrouvée entourée de mamans qui étaient épanouies. J’en suis ressortie en larmes. Et j’ai donc fait une préparation à la maison. Physiquement tout allait bien. J’oubliais que j’avais un ventre, à tel point que je me cognais partout. Aller dans les magasins de puériculture était une horreur. Le jour de l’accouchement je déjeunais avec ma famille. J’allais accoucher mais je ne sentais pas les contractions. J’étais en plein travail et je ne le savais pas.
A la maternité, ma gynécologue était là, par hasard. Elle a briefé toute l’équipe. L’accouchement s’est très bien passé. Mais j’ai eu le sentiment d’avoir été en dehors de mon corps, que ce n’était pas moi. Pendant deux jours ça allait bien. Le retour à la maison a été un enfer. Heureusement mon mari était là, et a été exceptionnel. Il faut comprendre que dans ces moments-là le bébé est comme un étranger. On pleure des litres toute la journée. Les quatre sages-femmes qui se relayaient auprès de moi m’ont parlé de l’Unité parents-bébé de l’hôpital de Montfavet à Avignon. Elles ont expliqué ce qui m’arrivait. Un jour ma psy a exigé que je vois un médecin le soir même. Il m’a reçue à 22h. Il m’a parfois ouvert son cabinet le week-end. Je lui adressais des mails. C’était ma béquille du quotidien. Je n’ai jamais passé une minute seule avec ma fille. Il y a toujours eu quelqu’un pour m’aider. Personne ne m’a jamais jugée. Ils ont juste été présents. »
« L’Unité parents-bébé (UPB) a sauvé notre famille, ma fille et ma vie »
« J’ai accepté d’aller à l’UPB, poursuit-elle. Le premier jour a été très compliqué. Je me suis demandé ce que je faisais là. Et en fait, c’est ce qui a sauvé ma famille. On n’y fait rien de spécial mais on fait tout. Une personne référente est désignée. Moi c’était Régine. Alors avec Régine on faisait des tours de poussette dans le parc qui est magnifique. On parlait du film qu’elle avait vu, du livre qu’elle avait lu. Elle en profitait pour glisser un conseil : « là je pense que vous pouvez faire ci, faire ça ». Elle m’a aidée à devenir maman. J’ai eu des massages pour être plus dans mon corps et moins dans ma tête. La confrontation avec le vécu d’autres mamans est très important. L’unité a accueilli mon papa. Une assistante sociale m’a orientée vers une association qui a proposé une TISF. Ma référente est venue avec moi le premier jour pour faire l’adaptation à la crèche.
Ça a été un vrai parcours, individualisé, avec beaucoup de tendresse, de bienveillance. Mais un parcours long, 18 mois. Après je me suis rapprochée de Maman Blues auprès de qui j’ai pu avoir des informations et comprendre ce qui m’était arrivé. Je suis très fière et très heureuse d’être avec vous aujourd’hui. Cléo est une petite fille formidable. Elle est joyeuse, rayonnante. Elle danse et chante tout le temps. J’ai écrit ensuite à l’UPB pour leur dire qu’ils sont un trésor qu’il faut préserver, que tout le monde serait au courant qu’ils avaient sauvé notre famille, ma fille et ma vie. Michel Dugnat dit que pour faire grandir un enfant il faut tout un village, que l’amour maternel seul ne suffit pas. Moi, j’ai bénéficié d’un village extraordinaire. » Pourquoi toutes les femmes qui en ont besoin n’auraient-elles pas droit à des soins de cette qualité ?
La révolution de la santé mentale périnatale au Royaume-Uni
Alain Grégoire, psychiatre britannique, grand spécialiste des soins mentaux périnatals, explique de son côté, dans un français parfait et avec beaucoup d’humour, comment son pays a opéré une révolution copernicienne sur le sujet.
« Pourquoi a-t-on eu un peu de succès ces dernières années ? David Cameron, avant de faire le Brexit, a annoncé lui-même presque 400 millions de livres d’investissement pour la santé mentale périnatale sur 5 ans. Dans le NHS (système de santé national financé par l’Etat), ça n’arrive jamais. Ce qui arrive tout aussi rarement : que l’argent promis arrive. Or, le jour qui a suivi l’annonce, l’argent est arrivé. Les services ambulatoires ou à domicile pour la santé mentale périnatale répondant aux standards de qualité ont commencé à se répandre. En 2019, il y a presque partout des systèmes de soins ambulatoires, à domicile, et de plus en plus d’unités parents-bébé. Il se passe de grandes choses un peu partout. Depuis avril 2019 : 100% du territoire de l’Angleterre a des services à domicile, 9000 femmes et leurs bébés de plus vont recevoir des soins spécialisés (30.000 dans deux ans), 730 nouveaux professionnels spécialisés ont été formés. Just do it ! C’est possible. Si on veut le faire, c’est possible. Nous avons 100 millions de livres par an pour des services spécialisés. Le changement est énorme et très rapide ».
Et ce n’est pas fini. A partir de 2020, le gouvernement va doubler le rythme et passer à 200 millions de livres par an. Entre autres, cela permettra que chaque maternité ait une sage-femme spécialisée en santé mentale.
Les conditions du succès pour une politique de santé publique efficace
La question qui brûle les lèvres du public est : comment cette prise de conscience politique a-t-elle été possible ?
« Parce que ces 30 dernières années, avec mes collègues, on a montré la base scientifique, résume Alain Grégoire. Ce qui a changé les choses c’est que tout le monde s’est mis d’accord sur cette priorité en santé, puisqu’un gouvernement ne peut pas tout faire en même temps. »
Quels ont été les objectifs fixés ?
– Partout des parcours comprenant tous les services selon l’intensité du besoin
– Des services spécialisés en psychiatrie périnatale partout au RU
– Un accès aux thérapies validées pour mères et pères : thérapies cognitivo-comportementales, thérapies comportementales dialectiques, thérapies interpersonnelles (pour lesquelles les preuves scientifiques existent)
– Des thérapies de la relation mère-enfant
– Des sages-femmes et infirmières spécialisées dans tous les services
Quelles sont les conditions nécessaires ?
D’abord, il faut une appréhension correcte des besoins. Elle existe en épidémiologie. Ensuite, un système cohérent pour les différents niveaux de besoins : il est même formalisé avec une pyramide. A la base, la promotion de la santé mentale maternelle et infantile en général, la question du bien-être qui correspond à une grande majorité de la population. Puis, plus on remonte vers le sommet, plus la sévérité du trouble, l’intensité du besoin et des soins augmentent. On passera ainsi d’une détresse sévère, à une maladie légère, à une maladie modérée puis à une vulnérabilité majeure approchant l’hospitalisation pour finir avec les troubles les plus graves nécessitant un suivi massif en hospitalisation conjointe.
La plus petite partie de la population concernée, celle qui a un gros problème, et est très à risque, a besoin de services multidisciplinaires d’hospitalisation mère-bébé. Ces services coûtent très chers mais ne concernent que cette toute petite partie. La plupart des gens avec des troubles ont besoin de services uni-disciplinaires moins coûteux.
« Notre alliance a décidé de commencer par le haut avec les services très spécialisés et très chers pour les populations avec le risque le plus élevé, précise Alain Grégoire. Parce que dans les endroits où il y a un service comme ça, l’ensemble du système de soins fonctionne mieux. »
La dépression maternelle tue plus que n’importe quelle autre complication périnatale
Il le rappelle : la dépression est la complication médicale de la maternité la plus fréquente. Et la dépression tue. « C’est une souffrance affreuse, c’est du sérieux, martèle le spécialiste. En Angleterre on ne pensait pas comme ça. La maternité est la période la plus à risque de psychose dans toute la vie. Cette psychose puerpérale est beaucoup plus rapide, plus grave et avec le plus grand risque, parmi tous les autres épisodes psychotiques aigus. Qui sont les femmes concernées par ces psychoses puerpérales ? La plupart sont des femmes avec des troubles bipolaires. La souffrance psychique tue plus de femmes dans la première année que toutes les autres causes, obstétricales, en période périnatale. »
Et ces troubles ont un effet sur le bébé, pendant la grossesse et pendant la période postnatale. L’effet est démontré. « La théorie psychanalytique nous a dit ça depuis longtemps, estime Alain Grégoire. Les parents savent qu’être bon parent a un effet. La plupart des enfants de ces mères vont très bien (à 90%) mais c’est une question d’augmentation du risque. Un risque qui monte de 5% à 10% sur 750.000 naissances ça fait beaucoup d’enfants. 10% d’enfants, c’est énorme. Ce n’est ni inévitable ni irréversible. » Un exemple frappant encore, chez les enfants qui font une dépression à 16 ans, on a constaté que 100% avaient une mère ayant fait une dépression parmi lesquelles 60% pendant la grossesse. Ce qui ne veut pas dire que tous les enfants des femmes dépressives pendant la grossesse feront une dépression.
Pour Alain Grégoire, il y a néanmoins un « message merveilleux et optimiste ». « Nous sommes la première génération qui a les preuves scientifiques de notre effet sur les prochaines générations et les preuves de l’efficacité des solutions. Il faut en faire quelque chose. »
La période périnatale est la plus propice à la détection de la dépression. C’est le moment où toutes les femmes sont en contact avec un service de santé. Alain Grégoire explique qu’aujourd’hui, parmi les seulement 40% de femmes repérées avec une dépression postnatale, la moitié ont eu un traitement et une sur dix un traitement adapté. « Si c’était en cardiologie, ce serait la fin de notre système de santé », dénonce-t-il.
Il montre quatre photos de famille. Quatre femmes souriantes avec leur mari et leur bébé. Quatre femmes avec une psychose puerpérale. « Parmi ces mères, trois sont mortes et un bébé est décédé, tué par sa mère avant son propre suicide, lâche Alain Grégoire. Toutes étaient à risque. Aucune n’était suivie par un service spécialisé adapté. »
En résumé, il énumère les conditions nécessaires à la mise en place d’un système de soins efficient :
– Une appréhension correcte des besoins
– Un guide des bonnes pratiques reposant un socle de preuves scientifiques
– Des modèles réussis pour la prestation des soins
– Des normes de qualité et un système de certification adapté
– Une confirmation des gains économiques
– Un consensus et le soutien actif de tous les institutions concernées et de la société civile
Pour lui, certains chiffres sont parlants. Si on ne fait rien, le coût est de 8 milliards par an (en livres sterling) contre 337 millions qu’on investit pour agir.
Peut-être un avenant sur la santé mentale périnatale dans le dernier rapport du Haut Conseil à la Famille, à l’Enfant et à l’Age
La deuxième table-ronde est ouverte par Sylviane Giampino, vice-présidente du HCFEA et présidente du Conseil à l’Enfance qui commence par évoquer les missions du HCFEA et présente le dernier rapport en date sur la qualité affective et sociale de l’accueil de l’enfant.
« Nous avons considéré que la qualité d’un mode d’accueil tient à sa capacité à s’ajuster à chaque enfant, à sa situation particulière (situation familiale, sociale, son état de santé…) et à son territoire, à la capacité des acteurs de première ligne de travailler en réseau. Nous avons livré 24 repères pour un référentiel. Nos travaux ont croisé la promulgation du Plan pauvreté. Donc on a abordé cette question. Ce sont 24 propositions pour trouver des transversales afin de permettre aux modes d’accueil de développer l’intelligence professionnelle. On a regardé ce qui se faisait dans le médico-social, dans le sanitaire. Mais le Conseil a considéré que ce n’était pas par la certification et l’audit qu’on améliorerait la qualité. On n’est pas allé vers ça. Le repère a été de dire : on ne peut pas garantir la qualité de ce qui va se passer seulement par cette approche mais en se centrant sur la qualité affective, éducative et sociale. »
Elle précise que le Conseil de l’Enfance a croulé sous les contributions et s’est intéressé à la production internationale « qui parle d’approche holistique là où nous parlons d’approche globale du développement du jeune enfant (en spirale). »
Le Conseil a proposé aux professionnels une explicitation des projets et des modalités pratiques de leur mise en œuvre, donc de partager et d’ajuster ce qu’ils font sur ce qu’ils disent. « La mécanique administrative de l’entrée d’un enfant dans un mode d’accueil est déjà compliquée quand tout va bien mais c’est encore pire quand il y a de la difficulté, pointe Sylviane Giampino. Quand ce travail est bien fait, l’enfant y respire un air plus serein, l’étayage relationnel pour les parents est central. On touche de près à quel point un mode d’accueil de qualité est un outil de prévention prévenante, mentale et sociale. » Elle confie : « Même nous on n’y a pas pensé : on n’a pas raccordé notre sujet avec la santé mentale. Je vais proposer un avenant à ce rapport. »
Le Député Jean-François Césarini (1ère circonscription du Vaucluse) explique son engagement sur ces questions, après sa rencontre avec Anne-Myrtille Rivoal. « J’ai été 12 ans bénévole aux Restos du Cœur. Ceux qui sont dans la rue avaient toujours une fracture familiale, ils ne veulent rien devoir à la société. La question qui nous est posée, c’est de casser les clichés. 40% des gens qui pourraient toucher le RSA ne le font pas. On part de si loin. Dire que devenir mère ne rend pas forcément heureuse c’est transgressif, c’est même un péché. On ne naît pas parent, on le devient. »
Le rôle central et difficile de la PMI
Olivier Bernard, pédiatre, chef de service de la PMI des Bouches-du-Rhône, rappelle les missions et les contraintes de la PMI dont les professionnels sont souvent tiraillés entre des attentes fortes.
Or, « il faut avoir conscience que ce dispositif ne fait pas ce qu’il veut ». La PMI présente des « forces incroyables » puisque c’est un des rares services dédiés à la prévention, qui a su penser et organiser un continuum entre l’ante- et le post-natal, qui intervient à domicile, avec de fortes compétences dans le domaine social et une offre graduée. « La PMI contribue au suivi de 50% des nourrissons sur le territoire du 3è arrondissement de Marseille alors que sur Aix en Provence on est à 10%. On adapte notre dispositif à la réalité sociale et territoriale. C’est l’universalisme proportionné. La PMI est un dispositif qui pense la prévention primaire et le repérage. »
Évidemment, reconnaît Olivier Bernard, les moyens sont anormalement hétérogènes sur le territoire national. La difficulté vient également de la diversité des actions. Les équipes sont tiraillées entre l’action en périnatalité pour tout le monde, les services spécialisés, l’accueil inconditionnel de populations en très grande précarité, le bilan systématique d’entrée à l’école maternelle, la contribution à l’évaluation des informations préoccupantes. « Il y a donc beaucoup de frustrations et d’incompréhensions. » Il rappelle le travail en cours de la députée Peyron qui propose de recentrer les activités de la PMI sur la prévention.
Dans les Bouches-du-Rhône il existe désormais des staffs médico-psychosociaux dans toutes les maternités, avec des dispositifs de repérage qui fonctionnent et une forte volonté de la collectivité de développer des consultations de puériculture, ce qui ne vient pas à la place des consultations médicales. Olivier Bernard évoque également les TISF et un dispositif expérimental qui propose 20 heures d’intervention gratuites en sortie de maternité sur indication motivée de la puer de PMI de chaque maternité, avec la possibilité de mobiliser une TISF dans la semaine. Il existe aussi des consultations conjointes entre médecins de PMI et professionnels de la pédopsychiatrie de secteur. Un partenariat avec Michel Dugnat va permettre la mise en place d’un plan de formation autour des troubles bipolaires et de la grossesse.
S’appuyer sur les pédiatres, parfaitement bilingues « bébé-français »
Catherine Salinier, pédiatre, représentante de l’Association Française de Pédiatrie Ambulatoire (AFPA), prend ensuite la parole. Le pédiatre, dit-elle, est le médecin de l’adulte que l’enfant sera demain. « Il va l’amener à s’inscrire dans la société avec toutes ses compétences. Ses parents parfois l’encombrent de leurs propres pathologies. On regarde si la trajectoire est droite, on vérifie qu’il n’y a pas de troubles neuro-développementaux, troubles qui envahissent nos consultations et dont les neuroscientifiques veulent nous faire croire qu’ils sont spécifiques. »
Catherine Salinier évoque un « système de soins formidable avec des visites mois après mois ». « Le vaccin est l’occasion extraordinaire de rencontrer l’enfant et les parents, de vérifier les acquisitions psycho-motrices, le comportement d’attachement, comment il cherche du regard, comment il évite la mère du regard. Antoine Guedeney a dit des pédiatres de l’AFPA qu’il forme à l’échelle Alarme Détresse Bébés qu’ils étaient très bons dans l’analyse des vidéos. Mais c’est notre métier. On interprète des micro signes. On observe des mamans. On passe notre temps à leur montrer leurs compétences. Le pédiatre est parfaitement bilingue bébé-français. » En revanche, pour Catherine Salinier, les pédiatres se sentent diversement armés pour dépister les pathologies maternelles. « On n’est pas assez formés. Tous réclament des formations. Notre enveloppe de formation continue fond comme neige au soleil. »
Profiter de la bulle des premiers jours de vie pour évoquer les antécédents des parents
Le bébé a une histoire avant la naissance, poursuit-elle. « Il a fallu des années pour avoir l’Apgar (état des fonctions vitales du nouveau-né à la naissance) dans le carnet. On n’a rien sur la dépression maternelle, le déni de grossesse, l’AMP. Quand un enfant sort de maternité, il y a bien une fiche de liaison qui va vers la PMI. On a obtenu la consultation des 10 premiers jours. C’est très riche. Le bébé est dans une bulle de naissance, il est calme. Les parents sont sur leur petit nuage. Il n’est pas difficile de demander à ce moment-là les antécédents « psys ». C’est une consultation primordiale qu’il faut anticiper. On a des carnets de rendez-vous pleins. Si une maman ne nous dit pas qu’elle est suivie en psychiatrie pour bipolarité, on ne le sait pas. Personne ne nous dit rien. »
Cette consultation des 10 jours permet de faire de la prévention avec des mamans pas informées sur les raisons des pleurs du bébé. Pour la pédiatre, il faudrait plus de maternités avec le label « Initiative hôpital ami des bébés (IHAB) ». Catherine Salinier explique beaucoup travailler avec la PMI, débordée, avec les sages-femmes et les Lieux d’Accueil Enfants-Parents (LAEP). « Si on craint des pathologies avérées, on pose une indication de soins. Mais après on l’envoie où la maman ? Les services d’accueil sont inaccessibles, il faut 2 à 3 semaines de délai. Les pédopsychiatres en ville c’est la catastrophe. Les CMP ? Est-ce qu’ils connaissent le bébé ? Parfois on a des associations avec des instituts de parentalité très compétents mais chers (ndlr : l’institut de la parentalité à Bordeaux). Tout le monde ne peut pas y aller. Les pédiatres sont choqués qu’il n’y ait pas toujours des puéricultrices dans les services de psychiatrie périnatale, pas de puéricultrices en libéral, que les mamans puissent être hospitalisées la nuit sans leur bébé. Pourtant il existe des recommandations, des plans, des réseaux. Alors pourquoi ? A cause des manques de crédits. C’est encore plus compliqué avec la régionalisation. Depuis novembre nous avons l’espoir d’une plateforme à laquelle s’adresser pour les enfants de moins de 6 ans qui présenteraient un risque de trouble du neurodéveloppement. On demande plus de pédiatres, mieux formés à la psychiatrie périnatale, plus de pédopsychiatres, une plus grande ouverture des CMP, des lieux d’accueil préventifs. Et nous le confirmons : l’AFPA rentre dans l’Alliance. »
Le fiasco de l’entretien prénatal précoce
Michel Dugnat se fait le relais du Collège National des Gynécologues Obstétriciens (CNGOF) qui, par la voix de son président, Israël Nisand, a clairement indiqué son intérêt pour impliquer les obstétriciens dans la santé mentale périnatale dès l’anté-partum et a déjà rejoint l’Alliance.
La présidente désormais honoraire du Collège National des Sages-Femmes (CNSF), Sophie Guillaume, pointe de son côté le manque de liens entre les nombreux professionnels qui constituent le système de santé. « On a les réseaux de périnatalité et on parle chacun de notre chapelle. » Elle rappelle que le lancement des réseaux de périnatalité s’est opéré initialement à travers le prisme de la mortalité/morbidité somatique. Le dépistage des risques fœtaux s’est bien construit et aujourd’hui tout le monde ou presque peut bénéficier du dépistage du 1er trimestre. « Mais les risques maternels, on n’en a pas trop parlé. La naissance n’est pas un événement médical au départ. En 2005 on a travaillé avec la HAS sur la préparation à la naissance. On a créé l’entretien prénatal précoce (EPP). Il existe, il a une cotation mais il n’est pas utilisé. Dans l’enquête périnatale de 2016 un quart des patientes en ont bénéficié. C’est un fiasco. Cet outil doit permettre d’écouter, de recueillir les attentes de la femme, du couple, de les orienter quand c’est nécessaire. Pourquoi ça ne marche pas ? Je crois que les professionnels ne savent pas ce qu’est l’EPP. On a des ressources, des gens très compétents mais des patients qui ne peuvent pas y avoir accès. Nous sommes aussi confrontés à une extrême précarité qu’on prend de plein fouet et qu’on ne sait pas gérer, liée à des flux migratoires. Comment fait-on ? »
Les enseignements de la cohorte des unités mère-bébé françaises
La deuxième partie de la journée s’ouvre avec une intervention de Florence Gressier, psychiatre, présidente de la Société Marcé Francophone (SMF) dont l’objectif est d’améliorer la compréhension, la prévention et le traitement des troubles psychiques et relationnels liés à la puerpéralité et leurs retentissements dans le champ de la petite enfance.
La SMF mène une activité de recherche avec la cohorte des unités mère-bébé à temps plein. Les patientes hospitalisées au minimum cinq jours avec leur bébé ont été incluses entre 2001 et 2010. La cohorte compte 1439 dyades. L’âge maternel moyen au moment de l’inclusion est de 31 ans. Plus de 40% prenaient au moins un psychotrope pendant leur grossesse. Les pères étaient présents dans 65% des cas. 21% des femmes présentaient un trouble schizo-affectif, 18% une dépression, 13% un trouble de la personnalité, 15% un autre trouble de l’humeur ou de l’anxiété, 14% une psychose chronique, 4% un trouble psychotique aigu.
A la sortie de l’hospitalisation, 67% des mères présentent une nette amélioration voire une disparition des symptômes. 85% des mères sortent avec leur bébé (dont 9% avec une supervision par la PMI et 11% avec un jugement). Les facteurs associés à la séparation sont : les complications néonatales et infantiles, les troubles psychotiques chroniques chez les deux parents, les troubles de la personnalité ou des conduites chez le père, le faible support social, l’absence de bonnes relations avec l’entourage.Chez les mères psychotiques, les facteurs de risque associés au placement sont : le célibat, le placement de la mère elle-même, la décompensation de la mère pendant la grossesse, les hospitalisations néonatales.
Dans la cohorte, 11,4% des mères ont fait une tentative de suicide (TS), 49 pendant la grossesse, 111 en post-partum. Ces tentatives de suicide sont associées à la maltraitance infantile. Les TS pendant la grossesse sont liées aux antécédents de fausse couche, à la consommation de tabac et d’alcool alors que les TS en post-partum sont davantage associées au jeune âge et à la dépression maternelle.
En ce qui concerne les complications néonatales, on note davantage de prématurité, de petits poids de naissance, d’hospitalisations néonatales.
Pour des évaluations psychosociales systématisées et une offre de soins gradués
Florence Gressier expose ensuite le positionnement de la Marcé au niveau international :
– Soutenir le développement de soins primaires en santé mentale périnatale intégrés dans un système d’offre de soins gradués
– Mettre en place des évaluations psychosociales systématisées (avec une évaluation du contexte psychosocial, des facteurs de risque et le dépistage d’une éventuelle dépression)
– Construire un système intégrant toutes les disciplines de santé et les soins périnatals primaires, secondaires et tertiaires
– Prodiguer des interventions continues, coordonnées et graduées (de l’anté-conceptionnel au post-natal)
La Marcé plaide transversalement pour une approche collaborative, en résumé pour un système qui permette de prendre en compte la sécurité des mères, des enfants, des pères. Elle demande aussi d’adapter les soins à la culture et à la famille, de mettre en place un référentiel de bonnes pratiques, une cartographie territorialisée des voies de recours, une formation des cliniciens et des supervisions.
La Marcé francophone souhaite participer à l’Alliance.
Catherine Massoubre, psychiatre, modératrice de la table-ronde, relève l’importance de cette observation des dyades rendue possible par l’hospitalisation car « quand on n’a pas les bons outils, on sépare beaucoup plus vite pour ne pas prendre de risque. »
Les interactions précoces au cœur de la prise en charge
Denis Mellier, psychologue, co-président de la WAIMH France, prend le relais. Il note d’abord que « quand les interactions ont déferlé des Etats-Unis sur la France en 1983, une dynamique s’est instituée. » La WAIMH France s’occupe de la santé mentale du nourrisson, œuvre côté bébé et se considère donc comme « une association sœur avec la Marcé ». Il insiste : « On ne peut pas travailler seul avec un tout petit ». Il relève la place de l’environnement : « On ne peut pas penser le bébé sans son environnement. Ça a des conséquences au niveau du soin. » Il pointe également l’interdépendance entre somatique et psychique. « Chez le tout petit, les manifestations sont très vite corporelles. La psychopathologie, en ayant une inscription corporelle, peut parfois être irréversible. Cela suppose qu’on soit plusieurs autour du bébé. »
Comment différencier la vie du bébé, son point de vue, de celui de sa mère ? « C’est un processus lent, compliqué, qui se fait par crise. Il y a un bouleversement identitaire pour le père, la mère, la famille élargie. L’ensemble du village doit trouver une autre place. »
Denis Mellier évoque le développement des interactions précoces qui nécessite de parler le langage des émotions et des gestes, entre autres. « Les soins vont dépendre de la problématique parentale. Il y a un risque d’emballement des peurs quand un bébé pleure et est inconsolable. Mais aussi un risque de déni des difficultés du bébé. Il faut des soins conjoints avec différentes portes d’entrée, côté parent et côté bébé. Les symptômes peuvent passer de la mère au bébé. »
Pour Denis Mellier, il est nécessaire d’intervenir dès le départ, d’envisager une évolution dans le temps, d’avoir des personnes formées, spécialisées (connaître les signes de souffrance du bébé ne s’improvise pas), de bénéficier de relais et de relations de confiance. Il évoque les enjeux de la transmission de la vie entre générations. « Le soutien des générations passées est la norme, l’isolement est toujours un risque. Le soutien est un dû. »
Maman Blues, pour soutenir les femmes confrontées à la difficulté maternelle
Après le psychologue, une autre table-ronde, modérée par Sarah Sananès, pédopsychiatre en périnatalité, s’ouvre avec Elise Marcende, présidente de la si précieuse association Maman Blues, dédiée aux femmes qui ont vécu la « difficulté maternelle ». L’association est constituée de 42 référentes bénévoles locales. Elle plaide pour la prise en charge de ces femmes, la plus rapide possible et égale sur tous les territoires, conjointe avec l’enfant. L’association vit de ses adhésions et des droits de son livre, « Tremblements de mères : témoignages sur la difficulté maternelle ». Elle a pour objectif de soutenir et porter la voix des femmes (avec ou sans diagnostic), de leur faire entendre les témoignages d’autres femmes qui s’en sont sorties. « Le temps à lui tout seul ne va rien faire à l’affaire, assure Elise Marcende. On insiste auprès de ces femmes pour une prise en charge rapide avec un professionnel formé dans ce domaine. » L’association anime un forum que les membres régulent et elle a constitué un répertoire national et international pour orienter les femmes avec des psychologues libéraux, des sages-femmes, des unités mère-bébé, des associations de TISF, des réseaux périnataux.
Un grave déficit d’information et de prévention
« Les unités d’hospitalisation mère-bébé sont au cœur du processus de prise en charge mais on manque de places. Trop de femmes sont prises en charge en psychiatrie adulte en urgence, sans leur enfant. Il y a le problème du coût. Mais l’enjeu c’est le début de vie d’une mère et d’un enfant. Il s’agit de prévenir l’enkystement de troubles de la relation, de problèmes en tout genre, de suicide, d’errances médicales. Depuis 3 ans on accueille des proches anéantis par le décès d’une femme. Ils sont animés par la colère. « Pourquoi on ne nous a pas informés ? » « Pourquoi on ne nous en a pas parlé ? » La prise en charge survient rarement dès les premiers symptômes. Si la difficulté n’est pas explosive, pas bruyante, elle va être mise sous le tapis. On informe rarement, voire jamais, de cette question.
L’entretien prénatal précoce est non systématique. Il n’est pas employé dans l’optique d’un dépistage de cette difficulté. Il est souvent fait par un professionnel qu’on voit pour la première fois. Il faut penser la maternité dans toutes ses dimensions. Les soins doivent être à la hauteur de l’enjeu et non cloisonnés. »
Michel Dugnat excuse la présidente fondatrice de la Fédération Nationale des Associations d’usagers de la Psychiatrie (FNAPSY) tenue de s’occuper de ses petits-enfants du fait de l’hospitalisation de sa fille. Elle rappelle son attachement au projet d’Alliance.
Compter avec et sur les grands-parents
Toujours du côté des usagers, Armelle Boisivon, représentante de l’Union nationale de familles et amis de personnes malades et/ou handicapées psychiques (UNAFAM), parle en tant que grand-mère, mère d’une fille avec des troubles psychotiques. Elle déplore que le désir d’enfant soit très peu parlé en psychiatrie. Des dispositifs tels que la CICO (il en sera question plus tard)
permettent de travailler cette question et de parler de contraception, mais aussi d’accès à la parentalité. « Cette réflexion en amont permettrait d’avoir moins d’enfants qui arrivent alors que la mère n’est pas stabilisée. »
Pendant la grossesse les relations entre la sage-femme, l’obstétricien et le psychiatre sont primordiales, notamment pour avoir les bons médicaments. Pendant la grossesse, il faut penser à l’accompagnement de l’enfant. Souvent, les personnes psychotiques ne peuvent pas anticiper. La psychose, c’est souvent la rupture du lien, or il faut des tiers pour préparer la naissance avec les grands-parents.
Elle le martèle : « La coordination entre la psychiatrie et les grands-parents est capitale. »
Néanmoins la situation peut être difficile pour les grands-parents en raison de la grande variabilité de la maladie et des changements émotionnels continus. « On doit s’occuper du bébé, et puis non… C’est un positionnement compliqué. Et les relations avec les services sociaux ne sont pas simples, notamment quand l’enfant est placé : « Vous n’êtes pas le parent, vous n’avez aucun droit ».
D’où l’intérêt du groupe des grands-parents de l’UNAFAM. » En conclusion elle évoque un projet innovant, celui de l’association les Funambules qui suit les enfants de 7 à 25 ans et leur permet d’être accompagnés en dehors de la psychiatrie.
Focus sur les unités hospitalières de soins conjoints (parents-bébé)
Sylvie Nezelof, pédopsychiatre, membre de la Société Marcé francophone, propose une présentation des unités hospitalières de soins conjoints.
Elle précise en introduction qu’il n’est pas facile de faire un état des lieux détaillé et exhaustif à ce jour en raison de l’hétérogénéité des structures d’hospitalisation parents-bébé (à temps plein ou de jour) en termes d’affiliation, d’organisation, de financement. Pourtant, quand les équipes de ces unités se retrouvent, elles savent qu’elles parlent de la même chose : « On est tous d’accord sur la vulnérabilité de la période, sur le fait que le temps est compté, qu’on est sur un continuum, sur l’ensemble des soins psychiques, somatiques, sociaux et sur le fait que le cœur du travail porte sur les liens ». Les hospitalisations mère-bébé sont nées en Grande-Bretagne dans les années 1960. En France nous avons été plus timides. Il y a eu Créteil au début des années 1980 puis un mouvement de rassemblement avec le club des UMB et un groupe de travail de recherche. Elle cite l’essor de la psychopathologie périnatale avec Michel Soulé et Serge Lebovici, le deuxième Plan périnatalité, la constitution des réseaux. Sylvie Nezelof note que « la périnatalité pousse à avoir des engagements personnels ».
Elle estime qu’il existe des structures mal réparties un peu partout mais qu’il est rare d’avoir vraiment toutes les déclinaisons de la gradation en même temps. Elle alerte : « On parle beaucoup des plateformes. Il ne faut pas reproduire des silos parallèles. »
Des dispositifs et des outils très disparates
Sylvie Viaux, pédopsychiatre, vice-présidente de la WAIMH France, propose le même exercice pour les soins conjoints ambulatoires, avec là aussi une grande hétérogénéité de la répartition et des modalités. Il existe des consultations accolées à des CMP, parfois des unités d’accueil à la demi-journée. Mais il est difficile d’identifier et de comparer. Reprenant la pyramide proposée par Alain Grégoire, elle défend la complémentarité. « C’est le maillage qui permet de repérer et d’adresser tout au long du parcours en périnatalité ». Il y a des régions où les professionnels ne se connaissent pas. L’intérêt du recensement de l’existant est de voir ce qui fonctionne mais un tel travail se heurte à un obstacle de taille : le manque d’harmonisation des recueils des actes et des psychopathologies de l’enfant et de ses parents. « Quand on ouvre un dossier pour l’enfant, comment on cote des symptômes qui viennent de l’interaction (qui n’existe pas dans la CIM 10) ? L’actuel PMSI ne permet pas de coter les troubles de l’interaction, la classification actuelle est inadaptée aux symptômes des 0-3 ans. » Sylvie Viaux défend la création d’un acte spécifique en psypérinatalité de « soin conjoint ».
Elle déplore qu’il existe peu d’outils pour les tout-petits, en tous cas pas d’outil français validé à l’international. Or, il est indispensable d’avoir des outils validés pour l’échange avec les partenaires (comme l’ASE et la Justice) et pour pouvoir réaliser des études épidémiologiques et de prise en charge pour valoriser l’activité des unités. Elle propose donc de valider un outil français utilisable en clinique pour toutes les unités ambulatoires, d’établir un listing des outils validés en France pour l’évaluation des informations préoccupantes précoces, de comparer les différentes échelles déjà utilisées, de les travailler en commun et de monter un projet national pour les valider, et enfin faire une cohorte de suivi pour évaluer le devenir de ces enfants pris en charge très précocement.
Les TISF ou l’importance du soin social
François Edouard, militant associatif de la FNAAFP/CSF-Confédération Syndicale des Familles est invité à parler d’un métier qu’il connaît bien, celui des Techniciennes de l’Intervention Sociale et Familiale (TISF). La TISF prodigue du soin dans le domaine du social. Cet accompagnement, argue l’intervenant, est aussi important que l’accompagnement médical. La TISF est une spécialiste du soutien à la parentalité et de la protection de l’enfance. La relation d’aide est le principe fondateur de ce métier (coopération -faire ensemble-, soutien -rassurer dans l’acte de faire-, pédagogie -apprendre à faire-, stimulation, assistance). Dans le cadre du soutien à la parentalité, il faut mettre en place un climat de confiance. La relation d’aide se construit dans la durée. Dans le cadre de la protection de l’enfance, il peut s’agir, avec les visites médiatisées, de maintenir le lien entre l’enfant séparé et les parents. Les messages des TISF sont bien reçus après la naissance, les parents sont réceptifs aux alertes. La TISF constitue un relais pour faire comprendre comment prendre soin du bébé.
La TISF s’insère dans le quotidien de la famille. « Ça ne se résume pas à faire le ménage » prévient François Edouard. Au-delà de leur formation initiale, les professionnels ont besoin d’une formation spécifique. La FNAAFP/CSF propose une formation à l’ensemble de ces professionnelles sur la relation mère-bébé et sur l’observation (Pikler-Loczy), formation qui leur permet de retrouver l’intelligence de leur métier. Il évoque également le partenariat construit avec la CNAM et la CNAF qui permet l’information par les conseillers de l’Assurance maladie non seulement sur le dispositif PRADO de la CNAM, mais aussi sur les interventions de TISF financées par la CAF et les parents.
« Les interventions des TISF, en complément des autres interventions, sont valorisées », assure François Edouard qui profite également de cette tribune pour défendre une « mesure indispensable » : une prestation légale de la branche famille de la sécurité sociale. « Il faut sortir de l’action sociale, affirme-t-il. Il faut qu’on puisse avoir au niveau des TISF une prise en charge légale donnée à toutes les femmes de façon égalitaire. »
Yvan Halimi, le modérateur de la table-ronde, en charge du comité de suivi de la santé mentale à la Haute Autorité de Santé, pointe l’un des enjeux : « que ce soit l’affaire de tous, pas que des spécialistes ». « Nous bénéficions d’un contexte porteur parce que la Ministre a considéré que la psychiatrie est une discipline sinistrée et que la pédopsychiatrie doit être une priorité. La psychiatrie périnatale a elle-même été identifiée comme une priorité alors qu’avant elle était considérée comme un microcosme, une psychiatrie de luxe. »
L’Entretien Post-Natal Précoce (EPNP), pour mettre fin au désert post-natal
Aude Penel-Lefèvre, remplaçant Danièle Capgras, sage-femme, ouvre la dernière table-ronde de la journée avec la présentation d’un outil sur lequel elle a beaucoup travaillé : l’Entretien Post-Natal Précoce (EPNP). Elle revient d’abord sur l’entretien prénatal précoce (EPP), ce « moment précieux » mis en place avec le plan périnatalité de 2005 avec une dimension médicale, psychique et sociale réalisé par la sage-femme ou le médecin. « C’est une affirmation de la nécessité du professionnel de se décaler du tout technique. Il ne s’agit pas de dépister au sens étroit, mais de repérer avec les parents les facteurs de risques dans lesquels ils peuvent être. »
Concernant l’EPP, de nombreuses enquêtes montrent le besoin mais les professionnels le pratiquent trop souvent sans le nommer et sans rédiger de feuille de synthèse. Il reste une bulle isolée. Après l’intense suivi anténatal, on constate un désert post-natal, la solitude des familles avec une prise en charge focalisée autour du nouveau-né. L’accompagnement est très insuffisant. Le parcours de santé n’est pas toujours bien identifié. Elle cite le docteur Marcelle Delour, anciennement pédiatre en PMI à Paris, dans le rapport Hermange de 2006 : « Jamais une société n’a laissé des jeunes mères aussi seules, sans aide pratique, ni soutien moral, ignorant tout de ce qu’est un vrai bébé. »
L’EPNP a été nommé et proposé dans plusieurs documents officiels. Il s’agit d’un entretien mené avec les parents en présence du bébé. Il est proposé à tous les parents, entre J8 et J15, à domicile, au cabinet, en PMI. Il dure environ 45 minutes/1 heure. Dans un climat sécurisant, il permet d’accueillir un père, une mère, au plus près de leur bébé. L’objectif est de porter attention au tout début de ce lien naissant, à la sécurité émotionnelle des parents. L’EPNP soutient la parentalité naissante en répondant à 3 besoins :
– Présenter son bébé
– Raconter, par exemple ce qui s’est passé en salle de naissance
– Être rassuré, confirmé dans ses tâtonnements
L’EPNP nécessite de sortir de la technique
Comme l’EPP, il suppose de former les professionnels, qui sont aujourd’hui essentiellement des techniciens de la naissance, à une démarche éducative pour la santé, avec une approche émotionnelle en périnatalité. Où prend racine la sécurité émotionnelle de chaque parent ? Dans l’histoire du parent et du couple, mais aussi dans l’histoire périnatale.
Les objectifs de cet entretien sont de soutenir et valoriser les compétences parentales, de repérer avec les parents ce qui fait risque pour eux, de penser avec eux les ressources à mobiliser et de construire un projet d’accompagnement avec les parents. Une fiche de synthèse est rédigée avec eux, elle représente le point nodal de cette pratique. L’EPNP s’inscrit dans trois axes fondamentaux :
*La prévention : venir au plus tôt, au bon moment pour impulser un accompagnement précoce. Prendre un peu plus de temps au départ pour que ce soit moins encombrant par la suite
*La continuité : l’EPNP doit être fait par un professionnel de confiance de la grossesse. L’enjeu est de taille. De quoi a besoin un bébé pour bien se construire ? De continuité, de cohérence, de contenance, de parents engagés émotionnellement. Comment on offre tout ça du côté des soignants ?
*La parentalité naissante
Aude Penel-Lefèvre prévient : il faut éviter les erreurs de la mise en place de l’EPP. Pour celui-ci l’offre systématique n’a pas été faite. Il n’y a pas eu de cotation spécifique. Elle en est persuadée : « l’EPNP peut potentialiser l’EPP. »
Les staffs médico-psychosociaux pour mieux repérer les risques
En l’absence d’Israël Nisand, président du Collège des Gynécologues-Obstétrciens de France qui a envoyé un message rappelant l’appartenance du CNGOF à l’Alliance, Pauline Vignoles est la seule représentante des gynécologues-obstétriciens de la journée. Elle présente un topo sur les staffs médico-psychosociaux. Le premier exemple de ce type de staff a vu le jour à Draguignan dans les années 1990, après un événement dramatique. Les équipes ont voulu essayer de repérer au mieux les femmes vulnérables dès le temps de la grossesse. Ce staff a dès le départ été inscrit institutionnellement par convention avec le Conseil général de l’époque.
Les réunions ont lieu une fois par mois au sein de la maternité avec entre autres les sages-femmes de consultations, les gynécologues, les cadres sages-femmes du pôle mère-enfant et un ensemble de partenaires (PMI, pédiatres, assistantes sociales, psys…). Des acteurs extérieurs sont régulièrement invités.
Cette instance fait le pont entre le suivi de la femme enceinte et celui du bébé à venir. C’est une chance, pour Pauline Vignoles, que la psychologue dévolue au staff est à mi-temps à l’Aide Sociale à l’Enfance. Les résultats sont là : « dans notre population, on a mis en évidence une chute significative de la maltraitance précoce grave ».
Les facteurs de risques relevés sont : les femmes avec des pathologies psychiatriques sévères, la violence conjugale, les mesures judiciaires, la grande précarité, la consommation de toxiques, les antécédents de maltraitance dans la fratrie du bébé. Le médecin le rappelle : 40% des violences conjugales commencent pendant la grossesse. La précarité économique est source de difficultés dans le suivi.
Une fois par mois sont partagées les observations, convictions, craintes, avec l’accord de la patiente.
L’instance « post staff » fait des relais. Le repérage soulève la question de la prévention. Il faut une présence attentive envers ces mères sans stigmatisation. « Ce n’est pas seulement de l’épinglage. Il s’agit d’écouter ce qu’on entend des besoins des femmes. » Se pose évidemment la question du partage des informations dans le respect du secret professionnel. « A la fin de nos réunions, que laisse-t-on comme traces écrites ? Nous convenons d’un résumé de nos échanges laissé par écrit dans le dossier de la patiente. Ce travail permet de sécuriser les équipes de soins qui interviennent parfois dans l’urgence. Il évite de faire flamber des situations. »
Pour Pauline Vignoles, le psy adulte doit être membre permanent de ce dispositif. « Il peut nous aider à connaître, penser, comprendre et soutenir ce qui est à l’œuvre pour une femme. » Après les maternités amies des bébés, à quand les maternités amies des femmes ? Elle conclut : « chaque maternité doit se doter de ce type de dispositif. »
La consultation d’information de conseil et d’orientation (CICO), pour anticiper le désir de grossesse des femmes avec des troubles psychiatriques
Le pédopsychiatre Romain Dugravier présente ensuite la CICO, consultation conjointe adossée au service de psychiatrie périnatale et au service de psychiatrie de l’adulte, créée à Paris 14ème en 2011 (on en a déjà parlé ici). Elle est née du sentiment de voir de plus en plus de femmes enceintes porteuses de troubles psychiatriques sévères, avec une anticipation modeste voire nulle de la grossesse et de la parentalité. A l’époque, précise le médecin, le réseau était mal connu et les assistantes sociales et les pédopsychiatres regrettaient de rencontrer les dyades trop tard.
La CICO représente une demi-journée de travail par mois pour chacun des médecins engagés dans le dispositif. Les binômes sont mobiles. « On reçoit toujours à deux ». La demande est adressée par des professionnels de santé. A partir de cette demande, un premier tri est fait par oral. La personne est rappelée par l’infirmière en amont. Avant la consultation un questionnaire est envoyé au médecin adresseur. La consultation, unique (il ne s’agit pas d’un suivi), dure 1h30, elle est destinée aux personnes avec un trouble psychiatrique connu. A l’issue de la consultation, un compte-rendu est rédigé, transmis au médecin adresseur et aux professionnels désignés par la famille. Actuellement est expérimentée la remise d’une lettre de liaison à la famille.
Parmi les sujets abordés, la question qui vient toujours est celle du choix thérapeutique. Mais aussi l’histoire de la famille et le projet d’enfant. Le réseau est-il déjà identifié ? « On passe notre temps à vanter importance de la PMI, des TISF, de la préparation à la naissance. » La personne malade est reçue dans un premier temps et le couple ensuite. Les dispositifs de soin en psychiatrie périnatale sont évoqués. S’ils sont présentés dans l’urgence, ils seront vécus comme une menace. Les femmes peuvent rencontrer les UMB en anté-natal. Deux tiers des femmes viennent en anté-conceptionnel et un tiers arrivent enceintes.
« En 2013 j’avais l’impression de voir des parcours de vie très compliqués avec des bébés vus comme un mode de résolution, raconte Romain Dugravier. Là, ça se transforme. Il s’agit de revendications de femmes et de couples. Les troubles se sont diversifiés avec des TOC, des dépressions au long cours, des troubles anxieux, et plus seulement des troubles bipolaires et schizophrèniques. Ces femmes connaissent leur parcours, et veulent se donner tous les moyens possibles. Elles anticipent par rapport à leur médecin, elles viennent de leur propre chef. » Les limites : « C’est local, ça repose sur notre bonne volonté. Et il faut mesurer les effets. »
Zoom sur l’Unité Parents-Bébé (UPB) de Montfavet à Avignon
Eve Lumbroso, ancienne pédopsychiatre de l’Unité Parents-Bébé de Montfavet, explique les modalités de fonctionnement de cette unité qui déploie une offre de soins vers les parents en anté-natal et jusqu’aux 18 mois de l’enfant.
Les indications recouvrent la souffrance psychique de l’adulte mais aussi les troubles relationnels et troubles somato-psychiques du bébé. Il s’agit de soutenir les liens premiers grâce à une attention partagée envers le bébé et ses parents. Il faut relever la complexité et la diversité de la clinique.
Deux unités fonctionnelles composent le dispositif sur le même site : un CMP et un hôpital de jour. L’orientation des patients est effectuée par le réseau de partenaires. Le premier contact, avec une des soignantes, est téléphonique. A partir de l’évaluation de la gravité des troubles, la réponse proposée est souple, rapide, ajustée. Les soins se déclinent en intensité selon les besoins. Les soins ambulatoires constituent un maillage subtil entre des soins psycho-corporels, une consultation avec la psychologue hebdomadaire, un suivi médical mensuel, souvent familial. Les soins en hôpital de jour ont lieu 2 à 3 jours par semaine. Une soignante dédiée à cette famille, appelée référente, est désignée. Des soins à médiation corporelle sont proposés. L’atout du dispositif, c’est le passage souple d’une modalité à l’autre, l’ajustement aux capacités et aux besoins de la famille dans le temps. Le rôle de la référente est pivot. La lecture associative des ressentis donne une trame narrative. La primauté est donnée au sensoriel et à l’émotionnel. Les soins proposent un passage par le ressenti corporel.
Eve Lumbroso ajoute que de bonnes conditions relationnelles sont indispensables au développement du bébé. Les soins doivent les soutenir de façon compensatoire. « On doit viser la transformation de la disponibilité du parent et sa capacité d’ajustement. L’enjeu est de ne pas séparer les soins au bébé et les soins psychiques à l’adulte (sauf en cas de décompensation). »
A Bordeaux, un dispositif de soins « gradué, coordonné et intégré »
La pédopsychiatre Anne-Laure Sutter-Dallay vient conclure cette dernière table-ronde en présentant un « dispositif de soins gradué, coordonné et intégré », celui de Bordeaux. Elle le rappelle en introduction : si on inclue les situations de détresse, les pathologies mentales périnatales concernent 30% des femmes. Les facteurs de vulnérabilité et de protection sont aujourd’hui bien cernés. Le cœur des soins conjoints, c’est de rendre compatibles les 1001 premiers jours cruciaux (de la conception à la fin de la deuxième année de vie) et l’évolution des troubles des parents. Il faut une grande souplesse d’organisation des soins autorisant les allers/retours. Il faut également intégrer la dimension sociale et ne pas perdre de vue que rien n’est plus néfaste pour le nourrisson que les ruptures et les incohérences.
A Bordeaux, on trouve une unité mère-enfant à temps plein, un hôpital de jour, des visites à domicile (VAD), une unité de consultations conjointes et des urgences psychiatriques. L’équipe mobile qui ouvre l’accès aux soins aux familles en difficulté adresse vers l’hôpital de jour. Des échanges ont lieu avec des partenaires médico-sociaux. Un staff médico-psychosocial (Cf. l’intervention de Pauline Vignoles) est organisé dans cette maternité de type 3 mais aussi un staff régional de psychiatrie anté-natale. Un centre ressource est dédié aux situations complexes et aux décompensations aiguës. Ce dispositif de soins est adossé à un pôle universitaire.
« On ne connaît pas bien les parcours actuels des mères et des enfants », relève Anne-Laure Sutter.
Les données issues de la cohorte Elfe mettent en exergue trois grands axes de réflexion :
– repenser les démarches de prévention (25% des femmes seulement ont accès à l’EPP qui est peu efficace en prévention de la santé mentale)
-L’accès aux soins psychiques reste faible
-L’impact massif des caractéristiques néonatales des enfants
Elle estime qu’il est indispensable de définir des niveaux de soins conjoints gradués avec des soins primaires, secondaires et un niveau 3.
Thomas Roux, membre de l’Association Des Etablissements en Santé Mentale (ADESM), directeur du centre hospitalier Esquirol de Limoges assure que les Projets Territoriaux de Santé Mentale (PTSM) issus de la loi de 2016 constituent un vecteur de transformation des soins. « Il faut investir ces groupes de travail », insiste-t-il avant de s’inquiéter de la réforme du troisième cycle des études de médecine qui oblige les étudiants, après un an de formation, à choisir leur voie sans être obligés de passer par la pédopsychiatrie, alors que la discipline connaît d’immenses difficultés (baisse de 50% des effectifs en 10 ans). « Sans pédopsychiatres, ça va devenir très compliqué. Comment travailler à l’attractivité de la discipline ? »
Des planètes jamais autant alignées pour la santé mentale périnatale
Pour clôturer la journée, Katia Julienne, Directrice de la Haute Autorité de Santé (HAS), se réjouit que la santé mentale périnatale soit enfin devenue « un enjeu de santé publique » et que « le dépistage et l’accompagnement apparaissent essentiels pour éviter les conséquences de ces troubles. » Elle annonce que le programme pluri-annuel de recommandations de la HAS a priorisé la pédopsychiatrie et, à l’intérieur de celle-ci, la santé mentale et la psychiatrie périnatale. Elle veut que ces dimensions soient elles-mêmes priorisées en termes de calendrier. Elle assure les professionnels de la psypérinatalité de son soutien et de son engagement.
L’initiateur et chef d’orchestre de la journée, Michel Dugnat conclut à son tour : « Les expériences présentées là sont fortement marquées par des éléments conjoncturels. Pourquoi y a-t-il autant de gens qui se consacrent à la psychiatrie périnatale à Strasbourg ? Pourquoi pas sur la nouvelle région Occitanie ? Pour des raisons qui sont « personnes-dépendantes ». Il faut passer à l’ambition d’une politique de santé publique cohérente de psypérinatalité.
Le Ministère donne des signaux d’intérêt jamais vus. Au niveau national, nous bénéficions d’une conjoncture astrale favorable. On a les éléments scientifiques. On sait que les vieilles lunes des psychopathologues sur la transmission intergénérationnelle n’en sont pas. Elles trouvent des échos clairs dans les recherches épigénétiques. On sait à quel point les besoins sont là, dans cette journée, tous les métiers de la périnatalité (sauf les puéricultrices) et plusieurs associations d’usagères de la psychiatrie se sont exprimés pour que ce sujet devienne une authentique priorité de santé publique. La construction de l’Alliance francophone pour la santé mentale périnatale va y contribuer pour les personnes morales (sociétés, associations nationales…), comme celle du Collège de psypérinatalité pour les personnes physiques qui veulent faire avancer cette cause. C’est difficile de vivre dans nos sociétés avec un QI de 70. La question des 1000 jours est devenue prépondérante. Nous avons une responsabilité historique. Nous sommes la première génération qui peut et doit se donner les moyens de faire mieux. »
Rendez-vous est pris pour les 19, 20 et 21 septembre à Marseille pour un colloque de psypérinatalité (psychiatrie, psychologie et santé mentale périnatales, 2PSMP) consacré aux unités de soins conjoints ambulatoires et hospitaliers et à leur travail en réseau avec leurs partenaires (PMI, services d’obstétrique, services de médecine néonatale, associations de TISF…). Ce rassemblement sur trois jours permettra notamment de décrire une typologie des structures de soins (typologie amorcée par Sylvie Viaux et Sylvie Nezelof ce jour) et d’interpeller à nouveau les pouvoirs publics. Il se conclura par des Assises qui permettront de formaliser la fameuse Alliance francophone pour la santé mentale périnatale.
Pour plus d’information, voir le site de l’ARIP et le compte twitter du Collège de psypérinatalité : @psyperinatalite.