A partir du rapport publié en juillet 2016 par la Early Intervention Foundation (voir notre présentation du rapport et de l’EIF), l’un des 9 « what works center » anglais, nous proposons ici une synthèse des évaluations que la littérature internationale permet d’effectuer sur les interventions précoces dont l’objectif principal est de sécuriser l’attachement des très jeunes enfants. En la matière, qu’est-ce qui marche et pourquoi ?
Les auteurs du rapport publié en juillet 2016, intitulé « Des fondations pour la vie : les interventions efficaces pour soutenir les interactions parents-enfants dans les premières années » (voir notre présentation générale), reviennent d’abord sur les débats portant sur les conséquences d’un attachement pas assez sécurisé. De nombreuses études longitudinales mettent en relation un attachement « insecure » du très jeune enfant avec des difficultés comportementales, émotionnelles, sociales ultérieures. Mais, notent les auteurs, ces corrélations ne sont pas si incontestables et surtout, de nombreux autres facteurs entrent en ligne de compte. D’autre part, des enfants très insécurisés pendant la petite enfance, peuvent connaître un meilleur attachement si les circonstances s’améliorent (l’inverse étant vrai). Un attachement insécurisé n’est donc pas considéré comme une pathologie mais comme un risque de problèmes futurs. Plus que le comportement de l’enfant lui-même pendant les toutes premières années de sa vie, c’est plutôt celui de sa mère qui se révèle le meilleur prédicteur de son évolution future. La sensibilité maternelle mise en œuvre dans cette période est ainsi cruciale pour le développement de l’enfant, insiste le rapport de l’EIF. Des soins attentionnés prodigués pendant la petite enfance sont statistiquement associés à de bons résultats scolaires et des relations satisfaisantes à l’âge adulte, alors que d’autres déterminants, comme la qualité de l’attachement, ne le sont pas.
Plus grande prévalence d’un attachement désorganisé dans les milieux défavorisés
Il est possible que des comportements parentaux sensibles pendant la toute petite enfance organisent les processus de développements précoces qui vont faciliter la capacité d’adaptation quand l’enfant va grandir. « Par conséquent, il se peut que les comportements parentaux précoces contribuent de manière unique au développement ultérieur de l’enfant, d’une manière qui est consistante et indépendante de tout ce qui se passe entre le parent et l’enfant dans les années qui suivent la toute petite enfance. » Il faut préciser que les parents qui sont sensibles aux besoins de leur enfant dans les toutes premières années sont assez susceptibles de l’être encore par la suite.
Les facteurs qui prédisent la sensibilité maternelle sont le niveau de défaveur, la santé mentale et physique des parents, la qualité du réseau familial et la qualité de la relation conjugale. Le rapport propose les résultats d’une méta analyse dont les auteurs ont trouvé un taux d’attachement désorganisé de 15% chez les enfants de la classe moyenne, de 25 à 35% dans les milieux défavorisés, de 43% parmi les enfants de mères alcooliques ou toxicomanes et de plus de 48% dans les familles où une maltraitance était suspectée.
Ces pourcentages n’ont en eux-mêmes rien de surprenant, les risques pouvant affecter la parentalité étant de mieux en mieux identifiés. Comme il est encore difficile en France d’évoquer les liens entre la défaveur sociale et les troubles de l’attachement ou les pratiques parentales inadaptées, il n’est pas inutile de les rappeler ici.
Interventions universelles versus interventions ciblées
Toutes les familles n’ont évidemment pas besoin de soutien pour renforcer l’attachement, poursuivent les auteurs. Les interventions qui ciblent des familles où un facteur de risque a été préalablement identifié sont plus susceptibles d’être efficaces et de prévenir des difficultés futures.
Les revues systématiques montrent qu’il existe deux catégories d’interventions dédiées au renforcement de l’attachement. Celles qui se concentrent sur l’amélioration de la sensibilité parentale à travers des interventions de courte durée, reposant souvent sur le fait de filmer les interactions pour ensuite les visionner avec les parents et réfléchir avec eux aux réponses qui pourraient être améliorées. Celles qui visent surtout à modifier les représentations internes que les parents ont de leur enfant, reposant sur des psychothérapies de plus longue durée. Elles partent du principe que les difficultés parentales sont liées à leur propre histoire d’attachement qui les conduit à mal interpréter le comportement de leur enfant qu’ils perçoivent comme intentionnellement négatif.
Seules 18% des interventions axées sur l’attachement sont proposées en accès universel, à l’ensemble d’une population donnée. 43% d’entre elles sont effectuées auprès de populations cibles, considérées comme à risque : mères adolescentes ou familles vivant au sein de communautés en situation de précarité, par exemple. 39% d’entre elles sont destinées à des familles où il existe un risque identifié, par exemple des mères chez lesquelles a été diagnostiquée une dépression ou tout autre désordre psychologique. On trouve des interventions étayées par des preuves dans les trois modes d’administration.
Mais au total seules 18% de ces interventions peuvent être considérées comme ayant un niveau de preuves suffisant. Pour les auteurs, il reste difficile d’évaluer la qualité de l’attachement d’un enfant et les relations entre les comportements parentaux, l’attachement de l’enfant et certaines de ses aptitudes. Notons aussi que certaines études commencent à pointer l’impact du facteur génétique sur la réussite de ce type de programmes, comme nous l’avons très récemment relayé dans cet article concernant un programme sud-africain.
Les interventions efficaces ont tendances à être assez coûteuses, notamment parce qu’elles s’adressent à des familles hautement vulnérables, sur de longues durées, et requièrent la mobilisation de professionnels bien formés.
Six exemples d’interventions efficaces sont détaillées dans le rapport de l’EIF.
Le programmes Family Nurse Partnership : des preuves à confirmer
La première d’entre elles, le programme Family nurse Partnership (partenariat famille-infirmière), destiné aux mères de moins de 24 ans (la plupart ont en fait moins de 19 ans), à partir de la grossesse jusqu’aux deux ans de l’enfant. Il s’agit de visites à domiciles au cours desquelles des infirmières spécialisées et supervisées délivrent des informations aux jeunes mères sur le développement de leur enfant et leur enseignent des stratégies pour mieux répondre à ses besoins ainsi qu’à leurs propres besoins. Les objectifs recherchés sont le renforcement de l’attachement et de la sensibilité maternelle, l’amélioration des compétences cognitives, la réduction des problèmes de comportement ultérieurs, la baisse de la maltraitance. On observe également avec ce programme une baisse de la consommation de tabac, la réduction du nombre de grossesse subséquentes, un taux plus élevé de retour des mères à l’emploi ou à la formation. L’adaptation du programme aux Pays-Bas a aussi montré une amélioration du quotient intellectuel des enfants à l’âge de deux ans et une réduction du risque de maltraitance à 3 ans.
Néanmoins une nouvelle étude de grande ampleur, concernant 1600 jeunes mères, effectuée au Royaume-Uni, a montré des résultats plus mitigés. Certes, le développement cognitif et langagier des enfants semblait meilleur parmi le groupe testé, ainsi que les relations conjugales. Mais concernant les autres items, les résultats n’étaient pas significatifs. Cette évaluation a conduit les Anglais à s’interroger sur la plus-value de ce genre de programmes par rapport aux services universels de soins. Il semblerait que comparativement aux Etats-Unis, les jeunes mères soient en général mieux suivies en Grande-Bretagne (et certainement est-ce aussi le cas en France où les grossesses précoces n’ont de toute façon jamais constitué un véritable problème de santé publique). D’où ces résultats décevants du groupe cible par rapport au groupe contrôle en Grande-Bretagne, alors qu’aux USA les résultats sont très probants. Les auteurs notent aussi que l’un des objectifs du programme est aussi de renforcer les interactions mère-enfant et que les effets de ces interventions peuvent se manifester à plus long terme, en tous cas au-delà des deux ans de l’enfant. L’unité en charge de cette intervention est en tous cas en train de réfléchir à la façon d’améliorer sa délivrance et d’augmenter son efficacité. Elle s’interroge sur un meilleur ciblage des populations pour se concentrer éventuellement sur les jeunes mères les plus vulnérables. Et, comme le soulignent les auteurs, le programme a de toute façon montré son efficacité en ce qui concerne le développement cognitif et langagier des enfants, ce qui n’est déjà pas rien.
Le « Family Foundations », bien évalué
Ce programme présente en plus l’avantage d’être peu coûteux. Les parents participants ont rapporté moins de stress, moins de dépression, moins de violence entre partenaires et envers les enfants ainsi qu’une plus grande satisfaction dans le partage des tâches domestiques et éducatives. Ces parents ont aussi semblé plus en capacité d’établir des routines facilitant l’endormissement de l’enfant et ont manifesté une plus grande confiance dans leur aptitude à calmer leur enfant. Les effets positifs perdurent dans le temps et, selon des évaluations effectuées à partir des constats des enseignants (qui ne savent pas si l’enfant qu’ils ont à observer a fait partie du groupe test ou de groupe contrôle), les enfants développent plus tard de meilleures compétences sociales et moins d’anxiété.
Le Family Foundations est un programme universel, ouvert aux couples qui attendent leur premier enfant sans autre critère se sélection. Il s’agit de séances de groupe qui débutent au cours du troisième mois de grossesse et se poursuivent jusqu’aux deux ans de l’enfant. Lors des cinq premières séances, au cours de la grossesse, sont abordées les stratégies qui permettent de développer une co-parentalité autour du bébé, de diminuer le stress et les conflits. Le programme s’interrompt ensuite jusqu’aux six mois de l’enfant. Quatre nouvelles sessions ont alors lieu pour revenir sur la co-parentalité. Au cours de cette deuxième vague les parents sont également coachés
pour pouvoir répondre de façon plus sensible aux besoins de leur bébé, pour augmenter sa sécurité émotionnelle et décourager les comportements indésirables.
Le child-Parent Psychotherapy (CPP), évacuer les « fantômes dans la nurserie »
Il s’agit d’un ensemble de programmes mis au point pour les enfants considérés comme à risque de développer un attachement insécure ou ayant déjà vécu un événement traumatique. La psychothérapie s’adresse à la fois à la mère et à l’enfant et repose sur l’idée que les difficultés maternelles proviennent de ses propres problèmes d’attachement lorsque la mère était enfant et que c’est cette histoire douloureuse qui vient modifier la perception qu’elle peut avoir de son enfant. La psychanalyste à l’origine de cette théorie, Selma Fraiberg, évoque des « fantômes dans la nurserie ». La thérapeute qui a repris ses travaux pour élaborer les CPP, Alicia Liebermann, a axé l’intervention sur la façon dont les parents peuvent être aidés à mieux interpréter les signaux adressés par l’enfant et à y répondre de façon plus adéquate. Les auteurs du rapport préviennent : il existe toute une variation des CPP, dont les bases ont beaucoup infusé les services de santé mentale anglais. Pour leur revue de littérature, ils se sont exclusivement concentrés sur le programme initial qui a fait l’objet par Alicia Liebermann d’une formalisation avec la publication d’un manuel.
Dans ce programme les familles sont suivies pendant un an voire plus à raison d’une séance par semaine. Le programme est décliné selon l’âge de l’enfant. Les mères sont amenées à réfléchir, par une approche empathique, à la façon dont leur propre enfance peut résonner sur leur façon de percevoir leur bébé ou leur enfant plus grand. Les mères sont incitées à jouer avec lui et le thérapeute propose un décryptage positif du comportement de l’enfant ainsi que des réponses adaptées à ce comportement. Les mères reçoivent aussi des conseils sur la meilleure façon d’instaurer une discipline, elles apprennent à décoder les émotions de leur enfant.
Le programme « Child First », de bons résultats côté parents et enfants
C’est un système de soins d’envergure destiné aux familles en grandes difficultés qui inclut des thérapies parent-enfant, mise sur un accès accru aux services proposés dans l’environnement proche, notamment la crèche ou le jardin d’enfant. L’idée est de mixer les services universels et spécialisés pour proposer un soutien très personnalisé à chaque famille. Ce programme n’est pas disponible aux Royaume Uni mais les auteurs du rapport estiment qu’il serait tout à fait pertinent. Les résultats les plus probants portent sur l’amélioration du langage et du comportement de l’enfant et une réduction du stress et de la dépression chez les parents.
Réduire l’impact de la dépression maternelle : des preuves émergentes
Les auteurs évoquent enfin l’intervention « the social Baby », programme visant explicitement à réduire la dépression maternelle et son impact sur l’enfant. L’adaptation anglaise de ce programme sud-africain s’est révélée très décevante puisqu’aucun effet positif n’a pu être mis en évidence. Les auteurs notent que les interventions efficaces en matière de dépression maternelle sont assez rares. Ils font néanmoins référence aux thérapies cognitivo-comportementales qui semblent commencer à montrer leur efficacité à la fois sur la dépression maternelle et sur le développement des enfants (ce que nous avons relaté dans un article précédent) ainsi qu’aux traitements médicamenteux. Les auteurs insistent sur le fait qu’il s’agit aujourd’hui d’une zone d’ombre. On ne sait pas comment prévenir la dépression maternelle d’une façon qui permette dans le même temps d’améliorer le développement de l’enfant.
Le rapport de l’EIF propose également une synthèse des programmes de soutien parental évalués portant sur la gestion des troubles du comportement et sur la prévention des retards et troubles cognitifs, à retrouver aussi sur GYNGER.