Depuis les années 60 une multitude de dispositifs de soutien à la parentalité ont été mis en place de façon standardisée à travers le monde, et en premier lieu dans les pays anglo-saxons. Ces programmes dédiés à la prévention précoce sont soumis à des processus d’évaluation sur des critères scientifiques. Une agence britannique, la « Early Intervention Foundation », l’un des neuf « what works centers », a pour mission de passer au crible ces programmes pour faire ressortir ceux dont le niveau de preuves est le plus élevé. Nous vous proposons une série d’articles qui synthétisent les enseignements du rapport publié en juillet dernier par l’EIF et consacré à ces programmes. Dans ce premier article, vous trouverez une présentation générale de ces interventions auprès des parents.
Il y a quelques semaines, l’Agence Nouvelle des Solidarités actives (Ansa) a présenté un rapport sur les « what works centres », organisant dans la foulée une rencontre pour débattre de l’utilité et de la possibilité d’importer ce modèle en France. Comme nous l’écrivions dans l’article que nous avions consacré à cet événement : “Ces structures sont dédiées au transfert de la connaissance dans différents champs de l’action publique afin de remplir un objectif : favoriser des politiques publiques fondées sur la preuve. Les WWC doivent permettre aux professionnels de terrain et aux décideurs de s’approprier les enseignements des évaluations d’impact afin de recourir aux méthodes, pratiques, programmes considérés comme les plus efficaces. ”
Le plus ancien, créé en 1999, est aussi en toute logique le plus connu : le National Institute For Health and Clinical Excellence (NICE), dédié à la santé et aux soins sociaux. Huit autres centres sont nés depuis, dédiés chacun à une thématique précise : l’éducation des enfants défavorisés (nous lui consacrerons bientôt une synthèse), le développement économique local, la prévention de la criminalité, la promotion bien-être, l’amélioration de la qualité de vie des personnes vieillissantes. Deux centres sont territorialisés, l’un pour l’Ecosse, l’autre pour le Pays de Galles. Un dernier, enfin, celui qui nous occupe ici : le « Early Intervention Foundation » (EIF), soit une fondation dédiée à la prévention précoce.
La prévention précoce ou comment répondre efficacement à des signaux d’alerte
Nous l’avons déjà écrit, mais plonger dans les travaux de tels organismes quand on est français constitue un exercice assez vertigineux. Comme il s’agit pour l’essentiel de revues de littérature de méta-analyses (donc de « super méta-analyses »), ces documents sont évidemment très scientifiques, factuels, sans fioriture, sans interrogations existentielles sur le risque de stigmatisation (interrogations sur le fond légitimes mais qui en France prennent toute la place, le risque de stigmatisation remplaçant celui de l’exclusion). Quel est le constat de départ ? Qu’est-ce qui existe pour y remédier ? Dans quel but ? Pour quelle population ? A quel prix ? Avec quels résultats ? Les WWC procèdent à un classement drastique des dispositifs selon leur niveau de preuve et leur coût avec un souci de transparence dans les méthodes employées et de clarté dans la restitution.
La « Early Intervention Foundation » (EIF) a publié en juillet 2016 un rapport conséquent intitulé « Des fondations pour la vie : les interventions efficaces pour soutenir les interactions parents-enfants dans les premières années ». C’est ce rapport que nous allons décliner en trois articles pour vous faciliter la lecture.
En introduction, les auteurs rappellent que la prévention précoce est définie comme l’activité qui répond aux signaux d’alerte et empêche les problèmes de devenir endémiques, préjudiciables et coûteux. Dans ce document, l’EIF souhaite analyser la robustesse de la preuve et le coût des programmes mis en œuvre, principalement au Royaume-Uni, mais aussi pour une bonne part d’entre eux, aux Etats-Unis et dans une moindre mesure dans d’autres pays. Pour entrer dans le champ de son investigation, les dispositifs doivent concerner les enfants, de leur conception à leurs 5 ans et viser à l’amélioration du développement de l’enfant en terme d’attachement, de comportement et de développement cognitif.
Les interactions parent-enfant conditionnent en grande partie le développement ultérieur
Les auteurs proposent un rappel sur des grands mécanismes de plus en plus analysés : « Les incroyables transformations qui permettent à un tout petit de devenir un individu capable de marcher, parler et exprimer une opinion sont permises par la très grande malléabilité de son cerveau qui mature rapidement à travers des processus neurologiques déclenchés en grande partie par son environnement. Les jeunes enfants prospèrent dans un environnement prévisible et sensible à leurs besoins. En revanche, dans , un environnement négligent et imprévisible, les enfants luttent. La qualité de l’environnement des jeunes enfants dépend largement de ses parents ou des personnes qui prennent soin de lui (ce qui implique un régime alimentaire sain, un foyer sûr et stable et un amour inconditionnel). La plupart des parents répondent à ces besoins fondamentaux avec enthousiasme et disponibilité. Leur motivation vient du fait qu’ils savent ce qu’ils doivent apporter et qu’ils ont confiance dans leurs capacités à le faire. Les parents trouvent cette confiance avec le soutien de leur famille, de leurs amis et des services disponibles dans leur environnement. Tous les parents tirent profit du soutien et des conseils prodigués au bon moment et ajustés à leurs besoins et aspirations.»
Cette revue de littérature porte sur les meilleures façons d’aider les parents à interagir et vivre avec leur enfant, communiquer, jouer, dans le but d’améliorer l’expérience des enfants, d’augmenter leur capacité à s’épanouir et d’éviter ce qui peut leur nuire.
Les auteurs insistent : « La façon dont les parents interagissent avec leur enfant dans la toute petite enfance est vitale pour le développement futur. »
Des niveaux de preuve variables
L’EIF propose le passage en revue de 75 interventions destinées à améliorer le développement de l’enfant à travers le soutien apporté à la relation parents-enfant. Les auteurs constatent que « de façon générale, au Royaume-Uni, dans ce champ, il y a un fort besoin d’évaluation supplémentaire car « de nombreux programmes sont prometteurs mais peu d’entre eux ont fait l’objet d’une évaluation rigoureuse sur le long terme ».
Le rapport le précisera à plusieurs reprises : les preuves sont plus fortes pour les programmes ciblés, qui s’adressent aux enfants à partir des signaux de risque précoce. « Cela ne veut pas dire que les programmes universels ou ciblant une population sur des critères démographiques sont inefficaces ou que l’universalisme proportionné n’est pas utile. Simplement, le bénéfice très spécifique du ciblage et des programmes façonnés sur la base de facteurs de risque précoces est une hypothèse émergente qui sera ultérieurement testée lorsque l’échantillon va s’élargir et que des recherches supplémentaires seront entreprises. »
Il existe plusieurs signaux d’alerte durant la petite enfance, relatifs à la sécurité de l’attachement, à l’auto-régulation comportementale ou encore aux acquisitions précoces, auxquels des programmes d’intervention peuvent en effet répondre. Les programmes axés sur le développement ont un meilleur niveau de preuves que ceux basés sur l’attachement ou le développement cognitif. Encore une fois, cela ne veut pas dire que les autres programmes sont inefficaces, mais qu’ils nécessitent aujourd’hui davantage d’évaluation.
Les auteurs posent la question : qu’est-ce qu’une intervention efficace ? Ils donnent évidemment leur réponse : Elle de nuit pas, elle ne gaspille pas, elle est adaptée aux besoins de l’enfant selon son âge et aux besoins de sa famille, elle n’est pas une recette magique qui marche à tous les coups, elle est en continuel développement pour pouvoir être améliorée.
Typologie des interventions précoces : universalistes/ciblées, axées sur l’attachement, le comportement ou le langage
Pour être retenus dans cette méta analyse de très grande ampleur, les programmes passés au crible devaient reposer sur un travail avec les parents, avoir expressément pour objectif d’améliorer les résultats des enfants en modifiant les comportements, attitudes ou ressentis des parents, cibler des familles avec un enfant de moins de 5 ans (ou une grossesse en cours). Ces interventions peuvent reposer sur le fait d’apprendre de nouvelles compétences aux parents, de leur prodiguer une information susceptible d’augmenter leurs connaissances, de changer leur perception, leurs croyances ou attitudes avec leur enfant, d’améliorer leur capacité à interagir positivement avec lui et de répondre à ses besoins.
Les programmes ont été classés de la façon suivante : les dispositifs universels, les interventions ciblées selon certaines caractéristiques de la famille qui l’identifient comme étant à risque (difficultés économiques, monoparentalité, grossesse précoce, minorités ethniques), et enfin des programmes ciblés de façon encore plus fine selon une problématique précise déjà diagnostiquée nécessitant un soutien plus intensif (un enfant très agité ou avec un retard de langage, par exemple).
Parmi les programmes étudiés, 37% portent sur l’attachement, 36% sur le comportement, 26% sur le développement cognitif. Les premiers cherchent à stimuler la sensibilité parentale, les seconds à enseigner aux parents des stratégies comportementales et des méthodes de communication efficace avec leur enfant (comme ces deux programmes dont nous avons parlé mis en place au Japon et en Macédoine), les troisièmes à apprendre aux parents des méthodes adaptées à l’âge de l’enfant pour structurer et étayer les tâches d’apprentissage.
Plusieurs modalités d’action : soutien en routine, séances de groupe, visite à domicile
25% sont proposés en universels, 37% ciblent les populations selon des facteurs psycho-sociaux, 37% ciblent les familles en fonction d’une problématique déjà identifiée. Les programmes les plus proposés sur un mode universel sont ceux destinés à améliorer le comportement de l’enfant. Les interventions axées sur le renforcement de l’attachement ou sur le développement cognitif sont davantage ciblés. 9% consistent en une sensibilisation accrue, en la délivrance un peu plus soutenue d’une information précise (par newsletter ou par le professionnel de santé lors d’une visite de routine), 46% proposent du soutien en groupe, 28% consistent en entretiens individuels et 12% sont délivrés via de la visite à domicile. 46% sont au début de leur déploiement et nécessitent davantage d’évaluation. 24% obtiennent un niveau 2 de preuves (sur 4 niveaux possibles), 18,7% un niveau 3, 4% un niveau 4 et pour 6,7% l’efficacité n’a pas pu être démontrée. Pour les auteurs du rapport, on peut considérer que 23% de ces programmes peuvent être considérés comme fondés sur des preuve, ce qui, notent-ils, n’est pas surprenant étant donné le défi que constituent les interventions précoces et leur évaluation. Il faut souvent de nombreuses années avant de pouvoir confirmer les hypothèses de départ et la légitimité du modèle choisi. Les interventions qui ont fait leurs preuves ont souvent plus de 12 années d’existence.
Parmi les 28 interventions axées sur l’attachement, 5 (soit 18%) peuvent être considérées comme « evidence-based ». C’est le cas pour 37% des programmes qui visent une amélioration du comportement de l’enfant et seulement 10% de ceux qui ciblent le développement cognitif. Les programmes accessibles à toutes les familles semblent beaucoup moins efficaces (5% ont fait la preuve de leur efficacité) que les programmes ciblés selon des problématiques socio-économiques (18%) ou selon une difficulté spécifique rencontrée par la famille (39%). Il faut préciser que lorsque les programmes ciblés sont efficaces, ils le sont selon une ampleur plus marquée que les programmes universels puisque les difficultés de départ sont plus fortes. Les activités de sensibilisation menées sur une courte durée se révèlent assez inefficaces. 20% des interventions de groupe sont étayées par des preuves ainsi que 28% des programmes basés sur un suivi individuel. Le plus gros score d’efficacité, 33%, est obtenu par les visites à domicile qui sont aussi le mode d’intervention le plus coûteux.
Pour 69% de ces programmes, l’investissement a été estimé faible, très modéré ou modéré, contre 6,7% qui ont été considérés comme moyennement ou très coûteux. L’estimation du coût n’a pas pu être effectuée pour 20% de ces interventions.
Voilà pour la présentation générale des interventions étudiées par l’EIF. Nous vous proposons une synthèse des résultats pour les trois types d’intervention : celles axées sur l’attachement, celles dédiées à la gestion du comportement de l’enfant et enfin celles visant à améliorer ses capacités cognitives.