C’est une photographie, un instantané des naissances en France à un instant T, un instant qui couvre en fait une semaine, du 14 au 20 mars 2016. L’Enquête Nationale Périnatale 2016* a porté sur un échantillon représentatif de 14 142 naissances survenues au cours de ces sept jours dans les 517 maternités françaises. La dernière ENP datait de 2010.
Que disent les chiffres de la dernière Enquête Nationale Périnatale ? L’âge maternel continue de reculer (la part des femmes de plus de 35 ans passe de 19 à 21%). La part des femmes obèses gagne elle aussi deux points (de 10 à 12% et 21% pour les départements et régions d’outre-mer). La consommation de tabac ne diminue pas (17%). « Alors que la toxicité de la consommation d’alcool durant la grossesse est bien établie, notent les auteurs, particulièrement pour les fortes doses seules 67,1 % femmes déclarent avoir été interrogées sur leur consommation d’alcool pendant la grossesse et moins d’un tiers disent avoir reçu la recommandation de ne pas consommer d’alcool pendant leur grossesse. » (voir notre article sur le syndrome d’alcoolisation foetale) Quelques 5% des femmes enceintes en métropole se déclaraient seules contre 25% dans les DROM. Les femmes interrogées ne sont que 28,5 % à affirmer avoir eu un entretien prénatal précoce, contre 21,4 % en 2010, alors que 85 % des maternités déclarent qu’elles en organisent. Les femmes accouchent davantage dans des grosses maternités et dans des services de type 3. L’utilisation de l’oxytocine pendant le travail spontané a nettement diminué (58% à 44%) ainsi que l’épisiotomie (de 27% à 20%). La fréquence des césariennes réalisées avant travail (programmées ou non) a diminué -une césarienne est moins souvent réalisée en 2016 qu’en 2010 chez les femmes ayant un antécédent de césarienne (utérus cicatriciel)-mais la fréquence de l’ensemble des césariennes n’a pas été réduite de manière significative depuis 2010 et 20,2 % des naissances sont concernées en 2016.
Une information ressort particulièrement : l’allaitement maternel à la maternité, exclusif ou non, a légèrement diminué entre 2010 et 2016, passant de 68,7 % à 66,7 %. L’évolution la plus marquante concerne l’allaitement maternel exclusif : il avait augmenté à partir de 1995 et a baissé de manière importante entre 2010 et 2016, passant de 60,3 % à 52,2 %.
Des femmes beaucoup plus diplômées
Pour aller plus loin concernant le profil socio-démographique des femmes :
La part des femmes de nationalité étrangère accouchant en France n’a pas augmenté de manière significative entre 2010 et 2016, où 14,1 % des femmes ne sont pas de nationalité française. Le principal groupe de femmes étrangères en 2016 est composé des femmes d’Afrique du Nord (5,0 %, de même qu’en 2010), puis des femmes d’autres pays d’Afrique et d’Europe (3,5 % des femmes dans chacun de ces deux groupes). Le niveau d’études des femmes continue d’augmenter avec une part nettement accrue des femmes ayant un niveau d’études supérieur ou équivalent à bac + 5 : elles sont passées de 12,9 % à 17,9 % entre 2010 et 2016. En parallèle on note une hausse du pourcentage de femmes au chômage, 16,8 % en 2016 contre 12,8 % en 2010.
L’enquête met en évidence que la part des très faibles revenus, de moins de 1 000 € mensuels, n’a pas changé entre 2010 et 2016. Alors que la proportion des ménages ayant des revenus compris entre 3 000 et 3 999 € par mois est passée de 20,9 % à 23,4 % et celle de revenus supérieurs à 4 000 € par mois est passée de 13,8 % à 18,1 %.
Avant la grossesse : désaffection pour la pilule
Concernant l’histoire gynécologique des femmes : bien que la pilule reste la principale méthode de contraception utilisée avant la grossesse, son usage a nettement diminué entre 2010 et 2016, passant de 73,8 % de femmes utilisatrices d’une contraception orale à 62,8 %. Pour cette grossesse, 6,9 % des femmes ont eu recours à un traitement de l’infertilité, contre 5,7 % en 2010. Seulement 35,3 % des femmes rapportaient avoir consulté un médecin ou une sage-femme en prévision de leur grossesse. Or, notent les auteurs de l’étude « une consultation pré-conceptionnelle est conseillée depuis 2009 pour toutes les femmes désirant une grossesse ».
Près de 30% des femmes ont connu un épisode de déprime
Sur le plan de la santé psychique : parmi les femmes ayant répondu au questionnaire auto-administré, un peu moins d’un quart (23,6 %) d’entre elles ont déclaré qu’il leur était arrivé de vivre au cours de leur grossesse « une période d’au moins deux semaines consécutives pendant laquelle elles se sentaient tristes, déprimées, sans espoir » et 18,2 % ont connu « une période d’au moins deux semaines pendant laquelle elles avaient perdu intérêt pour la plupart des choses comme les loisirs, le travail ou les activités qui leur donnent habituellement du plaisir ». Au total 29,6 % des femmes ont déclaré l’un ou l’autre de ces symptômes. Les auteurs précisent : « Une étude réalisée à partir des données de l’ENP 2010 rapportait une association forte entre un niveau socio-économique élevé des femmes et une plus forte probabilité de consulter un professionnel de santé pour des difficultés psychologiques.(…) Pour autant, les femmes en situation sociale défavorisée ont un risque accru de mal- être psychologique durant la grossesse. » Parmi les répondantes au questionnaire auto-administré, 1,7 % rapportent avoir subi des violences physiques durant la grossesse. Les auteurs de l’enquête estiment que cette fréquence est « probablement sous-estimée ».
Les sages-femmes davantage présentes dans le suivi de grossesse
Sur le suivi pendant la grossesse : la place prise par les médecins généralistes dans le suivi prénatal a diminué depuis 2010, 19,3 % des femmes ayant consulté un généraliste en 2016 contre 23,8 % en 2010, et la part des consultations auprès d’une sage-femme libérale a augmenté, passant de 16,0 % en 2010 à 25,2 % en 2016. Pour la moitié des grossesses, le principal responsable du suivi prénatal pendant les six premiers mois reste un gynécologue-obstétricien en ville, et pour respectivement 16,0 % et 14,8 % des grossesses, il s’agit d’un gynécologue-obstétricien et d’une sage-femme en maternité publique. La part des femmes ayant eu une amniocentèse a été divisée par deux entre les deux enquêtes, passant de 8,7 % à 3,6 %. Pourquoi ? « Ceci s’explique par la diminution très forte des amniocentèses chez les femmes de 38 ans et plus, pratiquées pour 41,0 % d’entre elles en 2010 et pour 9,7 % en 2016, par un plus grand recours au dépistage sérique de trisomie 21, mais également, pour une faible partie, par la réalisation d’un dépistage prénatal non invasif, qui commençait à être proposé dans certaines maternités et par certains professionnels à l’été 2015 ».
2010-2016 : les changements les plus notables concernent l’accouchement
Pour l’accouchement en lui-même : « La manière de prendre en charge le travail a beaucoup évolué entre 2010 et 2016 » constatent les auteurs. On l’a vu, chute de l’épisiotomie (chute qui ne s’accompagne pas d’une augmentation de la fréquence des lésions périnéales sévères), nette diminution du recours à l’oxytocine en travail spontané, mais aussi diminution du déclenchement, diminution importante des ruptures artificielles des membranes. Néanmoins, « de par leur fréquence, la pratique de ces deux interventions (oxytocine et rupture des membranes) semble toutefois toujours s’étendre au-delà du diagnostic posé de dystocie, en 2010 comme en 2016. » En 2016, près de 60 % des naissances sont réalisées par une sage-femme, soit une nette augmentation depuis 2010, où les sages-femmes ne réalisaient que 53,8 % des naissances. Parmi les femmes ayant accouché par voie basse, près de 89 % étaient allongées ou semi-allongées au début des efforts expulsifs, 95,5% étaient sur le dos. 82,6 % des femmes ayant eu une tentative de voie basse ont bénéficié d’une péridurale contre 78,1 % en 2010.
Au-delà des débats sur la surmédicalisation et les violences obstétricales, des femmes qui revendiquent peu et semblent satisfaites
Au sujet de la prise en charge de la douleur, les auteurs précisent : « En 2016, plus de 35 % des femmes ont rapporté avoir utilisé une méthode non médicamenteuse pour gérer la douleur durant le travail, seule ou en association avec une analgésie médicamenteuse. Ce pourcentage était de 14,3 % en 2010. Les méthodes utilisées ainsi que leur efficacité prouvée sont très variées (marche, postures, hypnose, acupuncture etc.). Il est très probable que cette évolution est à la fois le reflet de modifications de pratiques au sein des maternités (qui proposeraient plus souvent aux femmes des méthodes alternatives ou complémentaires à la péridurale), mais également le reflet de comportements différents des femmes entre les deux enquêtes : demandes plus importantes de pouvoir utiliser des méthodes non médicamenteuses et déclaration plus fréquente de leur utilisation ».
Le débat sur les violences obstétricales a réactualisé celui, plus ancien, portant sur les dérives de la surmédicalisation de la naissance. Mais le souhait revendiqué de se réapproprier l’accouchement semble ne toujours concerner qu’une minorité de femmes. « En 2016, très peu de femmes ont déclaré être venues à la maternité avec des demandes particulières concernant le déroulement de leur accouchement : seules 3,7 % des femmes avaient rédigé un projet de naissance et 17,2 % ont fait part de leurs demandes à l’arrivée à la maternité.(…)Seulement 14,6 % des femmes ne souhaitaient pas de péridurale avant leur accouchement, et 21,1 % étaient indécises. » Le ressenti des femmes est d’ailleurs plutôt positif : « La part des femmes interrogées qui avaient des demandes et qui n’ont pas pu les exprimer aux professionnels de santé est faible (1,9 %). Parmi les femmes ayant émis des souhaits particuliers, 80,2 % ont estimé que l’équipe y avait répondu de manière très satisfaisante , compte tenu du déroulement de l’accouchement.(…) Les femmes sont globalement satisfaites de la méthode reçue pour gérer la douleur et pour les aider pendant les contractions (61,3 % étaient très satisfaites et 27,0 % plutôt satisfaites), mais il existe une marge de progression pour améliorer le confort des femmes durant le travail, puisque 11,7 % d’entre elles étaient peu ou pas du tout satisfaites de la méthode reçue. » De quoi rasséréner un peu les équipes après la virulence de la polémique sur les violences obstétricales et le flot de témoignages accablants de femmes traumatisées par leur accouchement.
Les co-morbidités associées à la précarité
Cette ENP 2016 propose un focus sur les femmes en situation précaire. Au sein des ménages dans lesquels ni la femme ni son partenaire n’ont d’emploi, les femmes sont plus jeunes, ont eu plus fréquemment des enfants avant cet accouchement, et sont plus souvent de nationalité étrangère. La part des femmes ne vivant pas en couple est également beaucoup plus importante chez cette population (31,3 % contre 1,8 % des femmes non précaires). Des facteurs de risque médicaux sont également plus fréquemment identifiés. Le contexte psychologique de la grossesse est plus défavorable chez ces femmes et elles sont 11,8 % à déclarer s’être senties « assez mal » durant leur grossesse et 7,0 % à s’être senties « mal ». Elles sont plus souvent en surpoids (22,0 % contre 19,7 %) ou obèses (16,2 % contre 11,2 %) et sont deux fois plus souvent fumeuses. « Malgré ces facteurs de risque, notent les auteurs, près de 30 % d’entre elles ont eu moins de huit consultations prénatales, et seulement 18,5 % un entretien prénatal précoce, alors que ce dernier peut permettre de repérer précocement des problématiques médico-psychosociales pour proposer la prise en charge la plus adaptée aux besoins de la femme et / ou du couple. » Au sein des ménages dans lesquels ni la femme ni son partenaire n’avaient d’emploi en fin de grossesse, la part des naissances prématurées et celle des enfants de poids de naissance inférieur à 2 500 g sont plus élevées parmi les naissances vivantes uniques. Ces femmes sont moins nombreuses à adopter un allaitement maternel exclusif.
L’enquête permet aussi d’avoir un aperçu de la situation périnatale dans les départements et régions d’outre mer. Les facteurs de risque y sont globalement plus élevés sur tous les plans (sauf la consommation de tabac). Mais le taux d’entretiens prénatals précoces n’est en revanche pas plus faible. La prématurité est plus fréquente. Les bébés sont beaucoup plus allaités en maternité.
Cette enquête nationale périnatale 2016 montre de nets progrès quant à la prise en charge de l’accouchement avec une nette diminution des interventions et un plus grand respect de son déroulement physiologique. Elle souligne aussi la nécessité d’actions de prévention, sur l’obésité, le tabac ou l’allaitement exclusif en maternité.
*L’étude a été réalisée par l’Équipe EPOPé de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) et la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES), en collaboration avec la Direction Générale de la santé (DGS), la Direction générale de l’offre de soins (DGOS) et Santé publique France.