Depuis avril et d’ici la fin juin, 12.000 enfants de 7 ans, en classe de CP, vont répondre dans plus de 9000 écoles élémentaires à un mini questionnaire mais aussi être soumis à des exercices de calcul mental, de résolution de problèmes numériques, de lecture de mots et de compréhension orale et écrite. Une nouvelle vague de l’étude Elfe (Etude Longitudinale Française depuis l’Enfance) vient en effet de débuter dans le cadre du volet « école ».
Dans une école française sur quatre, des enseignants de CP vont proposer ou ont déjà proposé questionnaires et exercices à certains de leurs élèves. Trois seront choisis au hasard dans la classe, avec pour seule contrainte d’être bien nés en 2011, un quatrième sera pour sa part spécifiquement visé par cette série de tests organisés pour lui, parce qu’il fait partie, depuis sa naissance, de la cohorte Elfe.
Pour l’INED et l’Inserm, les deux organismes en charge du pilotage de Elfe, « cette nouvelle étape permettra d’analyser la façon dont l’enfant entre dans les différents domaines d’apprentissage proposés par l’école élémentaire tout en prenant en compte les conditions de vie et les structures familiales, la santé et le développement de l’enfant». Le langage, le sommeil, mais aussi l’estime de soi de l’enfant (à travers quelques questions posées par l’enseignant) feront l’objet d’une attention toute particulière. Comme le précise le communiqué de presse : « Les apprentissages observés par l’enseignant, tant linguistiques que numériques, seront analysés au regard de la santé de l’enfant, ses rythmes quotidiens et notamment son sommeil, ses activités en dehors de l’école, les modes d’accueil, les pratiques éducatives parentales, l’usage de livres et écrans, les relations avec le voisinage et la famille élargie, les rapports d’autorité… Les conditions de développement de l’enfant sont appréhendées dans une perspective globale.» Le bien-être scolaire et le bien-être social de l’enfant sont analysés.
L’intérêt de Elfe réside notamment dans son approche holistique, tant dans les problématiques couvertes que dans les disciplines mises à contribution dans le monde de la recherche. Pour découvrir les premières analyses effectuées à partir des données recueillies auprès des parents lorsque les enfants avaient un an, vous pouvez (re)lire nos articles; L’allaitement et la diversification dans la cohorte Elfe”, les familles immigrées dans la cohorte Elfe, Elfe: résultats sur les polluants chez la femme enceinte, les pratiques parentales dans la cohorte Elfe.
En 2014, les enfants Elfe déjà testés en maternelle
Un premier recueil en milieu scolaire avait déjà été effectué lorsque ces mêmes enfants avaient 4-5 ans et se trouvaient en moyenne section. On dispose aujourd’hui de quelques données brutes issues de cette première incursion de ELFE dans les écoles : les tests effectués mettent en évidence, de façon attendue, un lien entre l’âge de l’enfant et son développement cognitif (il y a bien une différence entre les enfants de début et de fin d’année) mais aussi de meilleures performances des filles (ce qui est conforme à la littérature scientifique). « Il ne s’agit que de données « sèches », prévient Xavier Thierry, le coordonnateur de l’étude. L’appariement de ces résultats avec les informations recueillies auprès des familles n’est pas encore fait. Mais il est rassurant de retrouver les variations entre les âges et entre les sexes puisque cela signifie que nos outils sont suffisamment sensibles pour les détecter. » La prochaine vague, lorsque les enfants seront en CE2, intégrera les enfants de la cohorte Epipage 2 qui ne concerne que des enfants grands prématurés (Elfe a exclu ces profils). L’ensemble de ces investigations permettra ainsi d’identifier l’impact respectif de tous les facteurs qui peuvent influer sur la scolarité d’un enfant, dont son mois de naissance, son âge à l’entrée en maternelle, le temps passé en maternelle, la prématurité, le milieu familial…
Convaincre parents et écoles de l’utilité de la démarche
Cette première mise à contribution des écoles, en 2014, avait nécessité une intense mobilisation. Lorsque les familles de la cohorte ont été recrutées, en 2011, en maternité, leur consentement n’incluait pas l’école. Il a donc fallu renvoyer un courrier aux parents pour solliciter leur accord et leur demander de transmettre ensuite eux-mêmes le formulaire d’acceptation à l’établissement pour obtenir l’accord de l’enseignant. L’enquête Elfe ne revêt aucun caractère obligatoire. Les chercheurs ne peuvent compter que sur la mobilisation et la bonne volonté des familles et du monde éducatif. Lorsque des résistances, ou simplement des doutes, émergent sur le terrain, Xavier Thierry se déplace, rencontre les inspecteurs d’académie et ce travail de conviction fait ensuite tâche d’huile. « Pour cette deuxième vague, le terrain est favorable, constate-t-il. Nous sommes désormais connus dans les écoles. Je ne reçois quasiment plus de mails d’enseignant me demandant des informations supplémentaires. »
Que répond-il aux interlocuteurs perplexes ou suspicieux pour les convaincre du bien-fondé de la démarche ? « Que c’est une source de premier plan pour étudier la façon dont les enfants grandissent en France. C’est une formidable base de donnée pour les chercheurs. » Il estime que les débats sur les risques de dérive déterministe sont beaucoup moins virulents aujourd’hui. La mise en place de Elfe n’a pas suscité de levée de boucliers, le collectif « pas de zéro de conduite » n’est pas monté au créneau. «Dans toutes les corrélations il y a une dimension multifactorielle, estime-t-il. De notre côté, nous essayons de sortir des habituels déterminismes sociaux avec des investigations très larges et variées. Par exemple nous nous positionnons aussi sur les représentations de la parentalité. Nous avons demandé aux parents, lorsque le bébé avait deux mois : « Que souhaitez-vous pour votre enfant plus tard ? » Lorsque l’enfant aura 10 ans, c’est à lui que nous poserons la question ». Nous avons aussi des questions sur la religion et sur la politique. »
Depuis le démarrage du projet en 2011, la cohorte a perdu près de 4000 familles sur les 18.000 familles initialement recrutées. « C’est un taux d’attrition assez classique, nous sommes dans l’étiage habituel, mais c’est évidemment toujours trop élevé, estime Xavier Thierry. Je pense que nous arrivons dans une période de stabilisation. » D’intenses efforts de communication vers les familles sont mis en œuvre pour les fidéliser. Cadeau d’anniversaire aux enfants, cartes de vœux, communications régulières sur l’étude…un poste à temps plein est dédié à ce travail de maintien des liens. A noter que dans le monde c’est certainement la cohorte Dunedin qui présente le taux de rétention le plus élevé. Du côté de l’Education Nationale, la participation s’est finalement élevée à 50% pour une mobilisation attendue de 30%. Bonne surprise, donc.
Avec cet acronyme évocateur de l’enfance et ces 12.000 écoliers aujourd’hui étudiés à la loupe, la France fait en tous cas un pas de plus vers la connaissance des familles et du développement de l’enfant mais aussi vers les standards de recherche internationaux.
Les enseignants peuvent trouver davantage d’informations sur le site Elfe