Les organisateurs des 42èmes journées nationales d’études des puéricultrices ont souhaité proposer aux participants, professionnels et étudiants, une session sur les neurosciences. Au programme, développement de l’enfant, autisme, lien mère-enfant et dyspraxie. Ces conférences étaient à l’image des autres sessions présentées durant ces trois journées : riches et denses, pointues mais accessibles.
En matière de vulgarisation des neurosciences, la pédiatre Catherine Gueguen semble devenue incontournable. Elle rappelle dans son intervention à quel point le cerveau du jeune enfant est fragile, immature, malléable. Les attitudes bienveillantes et empathiques sont les plus à mêmes d’apporter à l’enfant la sécurité et la confiance dont il a besoin. D’après les études, les éducations « punitives » rendraient les adolescents « insensibles, durs, sans empathie » (ce que nous avions souligné dans notre synthèse du rapport « parenting matters »). Elle estime qu’en France, « on connaît très bien les neurosciences cognitives (qui traitent du langage, de la pensée, de la mémoire) mais l’intérêt pour les neurosciences affectives et sociales (qui se penchent sur les mécanismes cérébraux des émotions, des sentiments, des relations sociales) est plus récent ». Une partie du cerveau est dévolue aux relations sociales et ces relations sont capitales pour l’être humain. « Tout ce que vit l’enfant va agir en profondeur sur son cerveau, explique la pédiatre. Chaque relation va influencer le développement des neurones, les synapses, la myélinisation, l’expression de certains gènes, axe du stress. » Pour un évolution optimale du cerveau, la relation idéale est empathique, soutenante, aimante.
Elle insiste sur la notion d’empathie dont le grand spécialiste est un Français, Jean Decety, installé aux Etats-Unis. Plus l’enfant expérimente l’empathie, plus il devient sociable. L’entourage de l’enfant a donc un rôle décisif sur son développement neuronal. Si cet entourage est empathique, le développement sera harmonieux. A privilégier : une attitude douce, chaleureuse, un ton de voix calme, un regard compréhensif. Catherine Gueguen évoque un thème qui lui est cher : ces tempêtes émotionnelles si difficiles à gérer pour l’enfant en raison d’un cerveau trop immature. Il ne s’agit pas de caprices mais juste d’un cortex orbito-frontal en pleine maturation. Face à de grandes colères, des pleurs, il faut apaiser l’enfant, mettre des mots sur ses émotions, ce qui ne signifie pas lui céder. Nous avons largement abordé ce sujet avec cet article sur les émotions du jeune enfant.
L’autisme, trouble neuro-développemental précoce
Frédérique Bonnet-Brilhault, pédopsychiatre et responsable du Centre ressources autisme au CHRU de Tours, chercheuse à l’INSERM, livre un topo bluffant de pédagogie sur l’autisme. Ce trouble neuro-développemental se caractérise par des difficultés communicationnelles persistantes et des stéréotypies ou intérêts restreints. Les troubles du spectre de l’autisme concernent 1% de la population générale. La très forte augmentation de la prévalence s’explique par les modifications des critères de diagnostic et le fait qu’on a fait entrer dans les TSA des formes moins « prototypiques ». Néanmoins, il est possible qu’une part de cette augmentation soit liée à des interactions entre les facteurs génétiques et l’environnement (de plus en plus de recherches portent notamment sur les pesticides et les perturbateurs endocriniens).
Une altération du système de traitement des informations socio-émotionnelles
Il s’agit d’un trouble du développement et du fonctionnement cérébral. La construction de l’architecture cérébrale ne s’est pas faite correctement. On ne peut pas parler de « trou » ou d’absence. Certains circuits présents n’existent pas chez les enfants ordinaires et l’inverse est tout aussi vrai. Comme il est question d’une pathologie de la perception de l’environnement et de la relation à l’autre et que c’est justement l’environnement et la relation à l’autre qui fait maturer le cerveau, on comprend qu’une boucle négative est à l’oeuvre. Si on sur-ajoute à ce tableau des facteurs de carences affectives ou éducatives, l’évolution peut être dramatique.
Qu’est-ce qui ne fonctionne pas chez ces enfants ? Le médecin évoque une altération des systèmes de capture et de traitement automatisé des informations socio-émotionnelles. Chez un enfant ordinaire, ces systèmes très robustes, automatiques, permettent de décoder les expressions faciales. Ce n’est pas le cas chez les enfants autistes. Les systèmes automatiques ne fonctionnent pas. Ce qui induit une forme de cécité à la valence émotionnelle du visage. De la même façon, ces enfants ne font pas de distinction entre la voix et le bruit, d’où les difficultés à interagir. Chez les bébés porteurs d’autisme, le mamanais fonctionne mois bien, la prosodie de la voix maternelle a moins d’effet. Ces enfants traitent mal la vitesse du mouvement, sa subtilité, ils perdent la valence sociale des gestes (ne voient pas la différence entre la lenteur de la caresse et la rapidité de la gifle). En revanche, ils sur-réagissent aux petites différences environnementales. Ils sont très routiniers parce que c’est là la meilleure façon d’annuler le changement.
Conclusion de cet état des lieux de ce qu’on sait aujourd’hui de ce trouble : il n’est pas lié à un défaut de la relation maternelle. Cette assertion suscite quelques applaudissements. Frédérique Bonnet- Brihault, pose que face à un bébé qui ne se synchronise pas face aux stimulations de sa mère, il est normal que celle-ci « se déprime ». « La déprime de la mère n’est pas la cause de l’autisme de l’enfant, elle en est la conséquence ».
Pour une rééducation fonctionnelle précoce et individualisée
Il faut caractériser chez ces enfants l’ensemble du développement (langage, moteur, cognitif) : comment réfléchit-il, quelles sont ses relations, quel est son niveau neuromoteur ? Et avoir des évaluations en condition de vie. L’autisme s’accompagne dans 70% des cas de comorbidité : trouble de la coordination motrice, TDAH, langage, trouble génétique, problème digestif,
Le poids génétique est très fort mais le déterminisme reste complexe, il s’agit d’une combinaison de facteurs génétiques. Et les connaissances génétiques actuelles n’aident pas sur le plan thérapeutique.
Pour Frédérique Bonnet-Brilhault, la recherche doit être au service d’une médecine individualisée. Il faut avant tout observer le comportement de l’enfant. Pour comprendre ce comportement, il est important de comprendre la boucle formée par le traitement de l’information sur le plan sensoriel, cognitif, praxique. Le cerveau sera malléable dans le mauvais sens si on lui fait du mal. La psychomotricité, l’orthophonie, c’est faire du bien. Si on n’intervient pas le trouble va perturber maturation neuronale. Il faut donc une rééducation fonctionnelle précoce, à base d’inclusion scolaire, de guidance parentale, d’orthophonie, de psychomotricité. Elle insiste : il n’existe pas de programme, pas de méthode. Chaque enfant est unique, il faut donc une prise en charge individualisée. La clé c’est l’évaluation de son développement et la façon dont on s’y adapte. Avec un objectif : relancer le développement cérébral dans des moments très accordés.
Intervenir le plus tôt possible
Une vidéo montre un petit garçon, Armand, qui ne parle quasiment pas à 5 ans. On le voit, évitant le regard, sans langage, pris dans des gestes répétitifs. A 15 ans, Armand sourit et s’exprime parfaitement. 20% de ces enfants connaissent une évolution tellement positive que les symptômes deviennent quasiment indétectables. C’est pourquoi Frédérique Bonnet-Brihault évoque des diagnostics instables. Ce qui va faire la différence ? La prise en charge précoce. « Nous avons beaucoup de retard dans l’autisme, dans la prise en charge globale. On en est aujourd’hui comme on était il y a 30 ans avec le cancer. Or, si on détecte plus précocement, si on intervient tôt, on change la trajectoire de développement de ces enfants. » Elle l’assure : « Dès 6 mois on peut observer des petites particularités sensorielles et motrices. On voit des problèmes de bébés qui ne synchronisent pas, qui ne babillent pas ». Alors elle le martèle : « il y a un rôle clé des pédiatres et des professionnels de la petite enfance dans le repérage.Vous pouvez changer la trajectoire de vie de ces enfants ».
Comment se construit le lien d’attachement
Aline Rideau, médecin en réanimation néonatale au CHU Robert Debré, propose une conférence sur le support neurobiologique du lien mère-enfant. La qualité de ce lien dépend de l’état psychique parental mais aussi de la capacité de l’enfant à exprimer ses besoins. Aux huit mois de vie de l’enfant, plusieurs facteurs de risque ont pu être identifiés : un enfant qui pleure beaucoup, l’ âge maternel élevé, la primiparité, un problème d’allaitement.
Le processus d’attachement augmente au fur et à mesure de la grossesse. L’accouchement est un moment essentiel. Il active la production d’ocytocine et diminue la cortisol, chez la mère et l’enfant et favorise l’attention de la mère pour son bébé. Parmi les facteurs qui vont impacter ce processus d’attachement : la césarienne avant le début du travail, les manipulations neuro-homronales penfant l’accouchement, les anesthésiques, la séparation mère-enfant en post-partum, l’allaitement maternisé.
La prématurité concentre les facteurs de risque
L’accouchement prématuré mélange les facteurs de risque. Tout est immature, mère et enfant sont séparés. C’est pourquoi la prématurité conjugue les facteurs de risque pour le trouble de l’attachement. L’état psychique de la mère est très altéré, avec un stress parental élevé.
Il y a un risque de dysrégulation émotionnelle précoce chez ces bébés qui sont nombreux à présenter des troubles cognitifs, du développement moteur et sensoriel (déficits visuels et auditifs), des troubles psychiques (40 à 50% ont besoin de soutien psychologique, des difficultés d’attention, des troubles des relations sociales qui persistent à âge adulte), des troubles du comportement.
Quel peut être le lien entre les dysrégulations émotionnelles et ces troubles ?
Il semble que les carences émotionnelles, affectives, les troubles de la relation parent-enfant perturbent les systèmes hormonaux et modifient l’architecture cérébrale de la connectivité en période néonatale. Ces dysrégulations constituent donc un enjeu fondamental.
Agir tôt sur les troubles de l’attachement pour limiter leurs effets négatifs
Agir sur ces troubles de l’attachement peut-il limiter leur impact ultérieur ? D’après les données expérimentales, oui. Ce que dit la recherche, c’est qu’il faut agir tôt, avant deux ans. L’ocytocine pourrait avoir un fort rôle neuroprotecteur. Soutenir la parentalité limite-t-il les troubles cognitifs et comportementaux ? Le développement du peau à peau et de l’allaitement exclusif, comme dans la méthode kangourou a des impacts à très long terme. Cet impact est d’autant plus marqué que le niveau d’éducation maternel est faible. Le médecin rappelle qu’il existe aujourd’hui pléthore de programme de soutien parental. Elle cite le NIDCAP auquel nous avons consacré très récemment un long article, le IBAIP qui sera bientôt expérimenté à Brest, et un programme testé positivement à Caen (qu’Aline Rideau qualifie d’ « incroyable»).
L’enrichissement de l’environnement avec le peau à peau et l’allaitement, ainsi que les programmes de soutien à la parentalité, constituent les pistes les plus prometteuses dans la prise en charge des grands prématurés. Mais poursuivre le soutien dans la durée pour être plus efficace présente un coût réel.
Accompagner les enfants dyspraxiques
La dernière intervenante de cette séance plénière, Caroline Huron, pédiatre et chercheur en sciences cognitives, présente un trouble encore assez méconnu, la dyspraxie. Ce trouble de la coordination motrice, d’origine développementale, n’est pas associé à une déficience intellectuelle ni à une pathologie neurologique. Pour que le diagnostic soit posé il faut qu’il y ait un retentissement sur la vie quotidienne et la scolarité de l’enfant.
3,2% des enfants d’une classe d’âge sont concernés si on inclut les formes modérées et sévères. Le premier signe qui suscite la consultation est en général un déficit de l’écriture. Ces enfants souffrent d’un trouble de l’automatisation du geste (normalement en CE2 l’écriture est automatisée). Ils présentent des difficultés d’habillage, lors des repas, lors de la toilette, un retard dans l’apprentissage du vélo. Ce sont des enfants très conscients de leurs difficultés. Ils s’opposent, se mettent sous la table, refusent de faire les exercices demandés. Résultats : ils arrivent plus chez le psy plutôt que chez le psychomotricien. C’est une très mauvaise idée de leur faire redoubler la dernière année de maternelle. Il leur est proposé des stratégies de contournement. L’idée est de se focaliser sur les gestes essentiels. Il ne faut pas en rajouter dans les interventions car ces enfants sont très fatigables.
Caroline Huron indique un site sur le sujet : le cartable fantastique.