La lutte contre la pauvreté impulsée par Emmanuel Macron sera résolument tournée vers les enfants et donc vers la prévention. Le Président de la République doit lancer ce jour les travaux de concertation sur le sujet. Le sujet est aujourd’hui bien documenté: oui la pauvreté impacte considérablement les enfants, notamment leur développement cognitif.
C’est donc en ce mardi 17 octobre, Journée mondiale du refus de la misère, que le Président de la République doit lancer la concertation qui sera menée jusqu’en mars 2018 «en vue de construire une stratégie de lutte contre la pauvreté des enfants et des jeunes ». Il réunira aujourd’hui les principaux acteurs impliqués dans cette bataille, associations, départements, chercheurs, entreprises etc… L’idée est de partir des constats et besoins des territoires, de faire remonter les initiatives considérées comme prometteuses afin de les promouvoir. Dans le cadre de cette réflexion menée sur la pauvreté, Emmanuel Macron a décidé d’axer les débats sur la question des enfants dont 20% sont aujourd’hui, en effet, en situation de pauvreté. L’objectif est de miser désormais sur la prévention. L’Elysée et le gouvernement dressent le constat suivant : la France se caractérise par une bonne redistribution, un système de protection social plutôt opérant, des dispositifs d’urgence relativement efficaces mais une dramatique reproduction des inégalités sociales, notamment à l’école.
Prévenir plutôt que compenser
Il s’agit donc de ne plus être dans le curatif mais de s’interroger sur la prévention possible, d’agir à la source, dès la maternelle, voire dès la crèche. On retrouve là une filiation de pensée avec tous les travaux récents relatifs à l’investissement social en petite enfance, relayés notamment par la CNAF (dans une interview que nous mettons en ligne ce jour), l’Ansa, le think tank Terra Nova, évoqués par la Ministre des Solidarités et de la santé dans un document récent. Et en phase avec l’approche portée par les organismes internationaux, OMS, Unicef, OCDE, et toutes les grandes fondations : intervenir tôt permettrait de compenser les handicaps de départ et de changer la destinée des enfants nés dans des familles pauvres. Le sujet n’est pas récent (en attestent le quota des 10% d’enfants pauvres en crèche ou la priorité donnée à la scolarisation précoce des enfants dans les quartiers prioritaires) mais il prend de l’ampleur, et se réactualise avec cette notion d’investissement social.
Nous avons dû pour notre part consacrer une dizaine d’articles à cette thématique de la lutte précoce contre les inégalités tant elle a été au cœur d’événements et de rapports organisés ou publiés ces derniers mois.
En juin 2016, lors de la conférence organisée à l’OCDE par l’association Ensemble pour l’Education, Gabriela Ramos directrice de cabinet du secrétaire général de l’OCDE, pose que « L’investissement précoce est un égalisateur ». « Si les enfants des foyers aisés sont pris en charge très jeunes, les avantages sont moins grands que pour les autres. C’est pour les enfants des familles défavorisées qu’une bonne qualité d’éducation dans la tendre enfance est fondamentale. » Un intervenant lors de cet événement avancera de son côté que les enfants issus de l’immigration qui n’ont pas eu accès à la petite enfance ont 2 ans de retard sur le plan scolaire à 15 ans.
L’impact de la pauvreté sur le développement précoce des enfants
Car c’est bien ce qui se joue au cœur de ce sujet, le développement, notamment cognitif, des enfants dont les parents sont en situation de pauvreté. Le rapport Innocenti sur la situation des enfants pauvres dans les pays riches publié en avril 2016 met de son côté en exergue l’étude Millenium Cohort Study (MCS) qui suit environ 19.000 enfants nés au début du siècle dans tout le Royaume-Uni depuis l’âge de neuf mois. Cette étude montre que “dès l’âge de trois ans, les enfants des milieux les plus favorisés ont tendance à obtenir de meilleurs résultats aux tests cognitifs”. “A l’âge de cinq ans, les enfants vivant dans des ménages pauvres ont près de trois fois plus de risques de faire partie du décile inférieur de la distribution des facultés cognitives que leurs pairs ne vivant pas dans familles à faible revenu“. Cette étude évoque aussi le phénomène de “plancher collant“. C’est à dire le risque pour un enfant se situant dans ce décile inférieur sur le plan cognitif de ne pas pouvoir en sortir pour passer dans les déciles supérieurs.
Une autre recherche assez sidérante, par son ampleur, la longévité de la cohorte étudiée (près de 40 ans!), et le tranchant de ces résultats, publiée en janvier 2017 (résumée dans l’un de nos Pueriscope), montre que les 20% d’individus qui à l’âge adulte cumulaient les fardeaux médico-socio-économiques (minima sociaux, surpoids, addictions, implication dans des crimes et délits…) présentaient aussi le même cumul de facteurs de risque identifiés pendant l’enfance: ils avaient grandi dans des milieux pauvres, subi des mauvais traitements, présenté de faibles performances de QI et manifesté de faibles capacités d’auto-régulation pendant l’enfance.
Forte corrélation entre le statut socio-économique des parents et la structure cérébrale des enfants
Et puis en 2015 il y eut cet article paru dans Nature qui pour la première fois montrait l’impact précoce de la pauvreté sur la physiologie même du cerveau, c’est à dire une forte corrélation entre le niveau socio-économique des parents et la surface cérébrale chez les enfants. L’équipe de Seth Pollack, chercheur américain, a montré la même année qu’il existe un seuil de revenus en deça duquel le cerveau des enfants subit de réelles altérations (dans les zones associées au langage et aux fonctions exécutives) même lorsque les mères de l’échantillon observé ont un bon niveau d’éducation (on en a parlé dans notre dernier Pueriscope). C’est une précision importante puisque cela signifierait que c’est la pauvreté en tant que telle, au-delà de ses facteurs associés (le faible niveau d’instruction des mères en et un), qui a un impact sur le développement de l’enfant.
Les auteurs d’un récent rapport produit par l’organisme anglais « Early intervention foundation » (nous l’avons traduit et synthétisé), estiment pour leur part que ce sont des différences au niveau du bien-être maternel et du niveau d’éducation des parents qui expliquent en grande partie le différentiel de développement des enfants pauvres. Pour ces chercheurs, les facteurs associés à la précarité économique (stress et dépression de la mère, moindre niveau d’études des parents notamment), plus que la précarité économique elle-même, conduisent à un gradient social en matière de développement émotionnel et de comportement.
La pauvreté des parents, et les difficultés qui lui sont associées, au cœur du débat
C’est une évidence en tous cas, le vrai sujet n’est pas « les enfants pauvres » mais les enfants dont les parents sont en situation de pauvreté. Et la question est : comment mettre un terme à la reproduction des inégalités, comment empêcher la pauvreté de se transmettre de génération en génération ? Problématique épineuse et sensible. Car mettre en lien la situation socio-économique des parents et le développement de l’enfant oblige à considérer que la pauvreté viendrait altérer les capacités parentales et éducatives des familles, leur aptitude à sécuriser et stimuler le tout petit. Concernant le développement cognitif des enfants la littérature fait émerger la piste épigénétique : des interactions complexes entre l’héritabilité et l’environnement.
Lier les pratiques et compétences parentales au statut socio-économique, constitue un terrain miné, surtout en France, où la crainte -légitime- de la stigmatisation empêche souvent de dresser un constat. Le sujet a été abordé dans le récent rapport sur les besoins fondamentaux en protection de l’enfance (ce n’est pas un hasard puisque les enfants de familles défavorisées sont sur représentés dans cette population). « S’il ne s’agit en aucun cas de stigmatiser ces populations qui affrontent déjà une adversité considérable, souvent depuis l’enfance, écrit Marie-Paule Martin-Blachais, il est en revanche indispensable d’avoir à l’esprit la réalité des répercussions que ce type de problématique peut avoir sur la capacité de parentage des adultes. (…) Or, la parentalité consiste, cela a été dit, en un travail extrêmement exigeant – en empathie, en qualité de présence et en efforts pour prioriser les besoins de l’enfant sur les siens – d’ailleurs souvent vécu comme éprouvant, même lorsque les adultes n’affrontent pas de difficultés particulières. Il n’est donc pas surprenant d’observer que les difficultés significatives de vie majorent le « coût d’entrée » dans la parentalité, jusqu’à parfois le rendre inassumable. »
Se mettre d’accord sur le constat, puis sur les interventions possibles
Une fois posée cette corrélation entre d’un côté le statut socio-économique des parents, les co-morbidités associées (stress, dépression, addictions…) et le développement de l’enfant, reste la question du mode d’intervention. Que faire ? Soutenir, valoriser, compenser, atténuer ?
Pour les auteurs du rapport de la Early intervention Foundation, il n’y a pas de doutes : « Assumant que les relations que nous avons mises en exergue sont réellement causales, posent les auteurs, alors nos résultats suggèrent que les programmes ciblant les familles à faibles revenus – programmes qui améliorent le bien-être maternel, le comportement de l’enfant et ses apprentissages cognitifs précoces- pourraient annuler la plupart des disparités socio-économiques dans le développement des enfants. » Lors de la publication du rapport Innocenti de l’Unicef, Olivier Thevenon, analyste de politiques publiques à l’OCDE, expliquait : « Les publics d’enfants sont de plus en plus diversifiés et tous n’ont pas les mêmes besoins. Il faut réfléchir à l’accueil de ces enfants en fonction de leur environnement. Les politiques de transferts fiscaux ne fonctionnent pas trop mal chez nous mais à l’évidence elles ne suffisent pas à résoudre les problèmes.» En résumé, il faut continuer à faire jouer la solidarité nationale pour compenser les écarts de revenus qui impactent fortement les enfants mais il faut en plus mettre en place des actions ciblées pour soutenir les enfants dont les parents sont en situation de précarité.
Après sa rencontre avec les acteurs engagés sur cette problématique, Emmanuel Macron doit aller visiter une crèche de Gennevilliers (92) très mobilisée dans l’accueil des enfants de familles défavorisées. Utiliser les modes d’accueil comme levier de l’investissement social en petite enfance semble donc mettre tout le monde d’accord. L’accent sera aussi mis par le Président sur les familles monoparentales puisque 36% d’entre elles sont en situation de pauvreté et que la monoparentalité est considérée comme un facteur de risque pour le statut socio-économique. Là encore, sujet hautement complexe. Est-ce la monoparentalité qui majore le risque de basculer dans la pauvreté ou est-ce la précarité économique qui se révèle un terrain favorable à la monoparentalité (à un effacement du père, entre autres) ? En tous cas, plus que la monoparentalité en tant que telle, c’est certainement la conjonction de la monoparentalité et d’un statut socio-économique initialement faible qui constitue un cumul de risques pour l’enfant.
La concertation lancée ce jour par Emmanuel Macron devrait être conduite jusqu’en mars-avril 2018.